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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 206<br />

CHAPITRE II<br />

Nature et Raison<br />

p.280 C’était entendu, Nature et Raison étaient liées par un rap port<br />

constant ; et rien n’était plus simple, plus sûr, plus souvent répété par les<br />

sages : la nature était rationnelle, la raison était naturelle, parfait accord. <strong>Les</strong><br />

notions psychologiques qui n’avaient <strong>au</strong>cun fondement dans la nature<br />

ressemblaient à ces forêts du Nord qui n’ont point de racines et que balaie un<br />

coup de vent : inébranlables, <strong>au</strong> contraire, celles qui étaient la projection de la<br />

nature dans l’âme humaine, et la traduction de ses lois. D’où venait,<br />

cependant, qu’un embarras se manifes tait encore, dans le temps même où l’on<br />

croyait avoir trouvé l’équation qui donnait à la connaissance sa sécur ité ?<br />

<strong>La</strong> nature était trop riche dans son contenu, trop complexe dans son être,<br />

trop puissante dans ses effets, pour qu’on pût l’enfermer dans une formule : la<br />

formule éclatait sous son effort. Malgré tant de tentatives faites pour l’élucider<br />

par l’analyse , pour la posséder par la science, pour la réduire à n’être plus<br />

qu’un concept aisément intelligible, les mêmes sages qui <strong>au</strong>raient dû se<br />

reposer dans leur certitude continuaient à lui prêter <strong>des</strong> sens divers et même<br />

opposés : le sentant, ils retrouvaient en elle le mystère qu’ils voulaient bannir<br />

du monde : d’où leur gêne et leur irritation. Ils disaient, tantôt qu’elle était une<br />

mère appliquée à subvenir <strong>au</strong>x besoins de ses enfants, tantôt qu’elle avait un<br />

profond dédain pour les individus parce qu’elle ne se souciait que de l’espèce,<br />

tantôt qu’elle ne s’occupait de rien et suivait inexorablement son cours. Ils<br />

disaient qu’elle était secrète comme le joueur de gobelets qui ne nous montre<br />

que le résultat de ses tours ; et <strong>au</strong>ssi bien, qu’elle se communiquait si<br />

facilement, qu’elle p.281 était si ouverte et si manifeste, qu’on la lisait dans les<br />

coeurs. Ils disaient qu’elle avait <strong>des</strong> volontés, <strong>des</strong> attentions, <strong>des</strong> scru pules,<br />

<strong>des</strong> subtilités, <strong>des</strong> délicatesses ; et <strong>au</strong>ssi bien qu’elle était parfaitement<br />

indifférente, ou qu’elle était hostile. A mettre bout à bout les sens opposés, on<br />

aboutissait à une série de contradictions et on se trouvait devant un catalogue<br />

qu’on ne pouvait feuilleter sans un sentiment d’ironie, ou de désespoir.<br />

Souvent ce n’étaient là que <strong>des</strong> figures de style, que <strong>des</strong> habitu<strong>des</strong><br />

familières du langage, que <strong>des</strong> métaphores. Pourtant on se contentait d’elles,<br />

comme d’une explication pre mière, comme d’un argument décisif, comme<br />

d’une réponse suprême. Plus on répétait qu’on suivait la nature, qu’on<br />

obéissait à la nature, plus on était satisfait, et moins on était d’accord. Rien<br />

n’a troublé davantage la conscience occiden tale, a noté fort justement un

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