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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 8<br />

CHAPITRE I<br />

<strong>La</strong> critique universelle<br />

p.13 Asmodée s’était libéré, et maintenant on le trouvait partout. Il soulevait<br />

le toit <strong>des</strong> maisons, pour se renseigner sur les moeurs ; il parcourait les rues,<br />

pour interroger les passants ; il entrait dans les églises, pour s’enquérir du<br />

credo <strong>des</strong> fidèles : c’était même son passe -temps favori. Il ne s’exprimait plus<br />

avec la lourdeur passionnée, avec la cru<strong>au</strong>té triste de Pierre Bayle ; il<br />

gambadait, il folâtrait, démon rieur.<br />

Le dix-septième <strong>siècle</strong> avait fini dans l’irrespect, le dix -huitième<br />

commença dans l’ironie. <strong>La</strong> vieille satire ne chôma point ; Horace et Juvénal<br />

ressuscitèrent ; mais le genre était débordé ; les romans se faisaient satiriques,<br />

et les comédies, épigrammes, pamphlets, libelles, calottes, pullulaient ; ce<br />

n’étaient que pointes, que piques, que flèches ou que pavés : on s’en donnait à<br />

coeur joie. Et quand les écrivains ne suffisaient pas à la besogne, les<br />

caricaturistes venaient à leur aide. Signe <strong>des</strong> temps : il y avait à Londres un<br />

savant homme, médecin, philologue, politicien <strong>au</strong>ssi, qui s’appelait John<br />

Arbuthnot ; il réunit <strong>au</strong>tour de lui quelques-uns <strong>des</strong> plus h<strong>au</strong>ts représentants de<br />

la <strong>pensée</strong> anglaise ; tous ensemble, gaiement, ils fondèrent un club sans pareil,<br />

le Scriblerus Club, dont la raison d’être consistait à venger le bon sens par la<br />

raillerie comme pour annoncer à l’Europe, l’année 1713, que l’époque de la<br />

critique universelle était venue.<br />

Trois sillages se marquèrent sur cette mer irritée : et d’abord le burlesque.<br />

Vite, le Télémaque fut travesti. S’il est un doux passage de l’Iliade, plein de<br />

tendresse naïve et d’amour, c’est p.14 celui où l’on voit Andromaque faire ses<br />

adieux à Hector : près de lui elle s’arrête et se met à pleurer ; elle lui prend la<br />

main, elle lui parle en l’appelant de tous ses noms ; ta fougue te perdra ; et<br />

n’as -tu pitié ni de ton fils, si petit, ni de moi, malheureuse ? Mais l’antiquité<br />

cessa d’être vénérable, rien ne l’était plus ; et voici en quels termes Hector<br />

accueillit Andromaque :<br />

Mon Dieu ! que vous savez bien braire !<br />

Mais quand vous brairiez mieux encore<br />

Un roc est moins ferme qu’Hector,<br />

Et de vos pleurs il se soucie<br />

Comme en hiver d’une roupie 1...<br />

Le goût de l’héroï -comique se répandit, gagna de proche en proche et<br />

devint une mode ; on se plut à enfler les petits sujets, ou à rapetisser les<br />

grands. Une boucle de cheveux enlevée, ou les paroles malencontreuses d’un<br />

1 Mariv<strong>au</strong>x, Horaire travesti, ou l’Iliade en vers burlesques, 1717.

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