La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 256<br />
ch<strong>au</strong>d ; un léger vent d’ouest rafraîchiss ait doucement l’atmosphère ; une<br />
tache sombre montait à l’occident. <strong>Les</strong> bourgeons du boule<strong>au</strong> commençaient à<br />
éclater ; les premières feuilles pointaient <strong>au</strong>x arbres, mais l’orme et le frêne<br />
demeuraient encore nus. L’alouette chantait dans les airs ; <strong>au</strong> bout d’un mille<br />
nous entrons dans la forêt ; l’alouette nous abandonne, mais <strong>au</strong> sommet <strong>des</strong><br />
sapins, le merle entonne sa chanson d’amour. » Le jeune savant qui est ainsi<br />
capable de goûter le doux printemps de Suède, encore timide et frileux, ne<br />
deviendra pas seulement le plus grand botaniste du <strong>siècle</strong> : peintre de plein air,<br />
il comptera dans l’histoire du sentiment de la nature. Un peintre d’atelier,<br />
Buffon, ne comptera pas moins ; à partir de 1740, il déroulera une collection<br />
d’images telle que les yeux du publ ic n’en avaient jamais vu de semblable ;<br />
images qu’<strong>au</strong>ssi tôt viendront préciser les illustrateurs.<br />
<strong>La</strong> science a changé la surface et les profondeurs du monde. Il était tout<br />
petit, potager et verger, où quelques déserts faisaient contraste ; jardin à<br />
l’angl aise tout <strong>au</strong> plus. Elle l’a montré immense, par ses explorations ; elle y a<br />
discerné, presque jusqu’à l’angoisse, un pullulement de f<strong>au</strong>nes et de flores<br />
étranges ; elle l’a fait déborder de vie. — Il était récent, il ne comptait que<br />
quelques milliers d’anné es, maigre compte : elle l’a enrichi d’un passé<br />
prodigieux, chaos primitif, action <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> e<strong>au</strong>x, océans qui baissaient leur<br />
nive<strong>au</strong>, les p.348 premières crêtes qui apparaissaient à la lumière ; action du feu,<br />
volcans en éruption, fournaises incan<strong>des</strong>centes ; gouffres tout d’un coup<br />
creusés, affaissements, ébranlements qui faisaient surgir ou disparaître <strong>des</strong><br />
continents entiers ; formidable travail d’enfantement. Elle l’a enrichi de la<br />
« multitude innombrable <strong>des</strong> globes que renferme ce vaste univers ». Elle l’a<br />
enrichi de tous les possibles, faisant de lui un immense polype torturé,<br />
évoquant les êtres difformes <strong>au</strong>xquels manquait quelque organe essentiel et<br />
qui dès leur naissance étaient condamnés à mourir ; proposant <strong>des</strong> spectacles<br />
qui défiaient ceux de l’ Apocalypse, jets innombrables qui chaque fois<br />
amenaient <strong>des</strong> constructions gigantesques et <strong>des</strong> écroulements ; fleuves,<br />
torrents d’atomes, lancés par une matière infatigable, sans début et sans fin.<br />
Le monde était fixe : <strong>au</strong> contraire, cette même science demandait qu’on<br />
s’habituât <strong>au</strong> spectacle de sa continuelle évolution. <strong>La</strong> nature cessait d’être<br />
stable : « Quoiqu’il paraisse à la première vue que ses grands ouvrages ne<br />
s’altèrent ni ne changent, et que dans ses productions, même les plus fragiles<br />
et les plus passagères, elle se montre toujours et constamment la même,<br />
puisqu’à chaque instant ses premiers modèles reparaissent à nos yeux sous de<br />
nouvelles représentations, cependant, en l’observant de plus près, on<br />
s’apercevra que son cours n’est pas absolument uniforme ; on reconnaîtra<br />
qu’elle admet <strong>des</strong> variations sensibles, qu’elle reçoit <strong>des</strong> alté rations<br />
successives, qu’elle se prête même à <strong>des</strong> combinaisons nouvelles, à <strong>des</strong><br />
mutations de forme et de matière... <strong>La</strong> nature s’est trouvée dans différents<br />
états ; la surface de la terre a pris successivement <strong>des</strong> formes différentes ; les<br />
cieux même ont varié, et toutes les choses de l’univers physique sont, comme