La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 292<br />
Il allait loin dans ce sens, qu’il n’était plus cohérent, lui suffisant que<br />
chaque pièce de son assemblage fût transparente, même si elle ne s’accordait<br />
pas très bien avec les pièces voisines. Lockien, il affirmait qu’il n’y avait rien<br />
d’inné dans notre âme : à moins toutefois qu’il n’y eût <strong>des</strong> dispositions innées,<br />
ce qui remettait tout en question. Il croyait fermement à la vertu d’une règle<br />
morale, mais plus il avançait dans sa méditation et moins il était sûr de la<br />
liberté ; moralité et fatalité p.395 lui paraissaient deux principes également<br />
clairs ; et s’ils s’ajus taient mal, tant pis. Le Dieu inconnu dans lequel il plaçait<br />
sa confiance récompenserait les bons et châtierait les méchants : mais il<br />
doutait qu’il y eût une <strong>au</strong>tre vie, où les bons seraient ré compensés et les<br />
méchants punis. Était vrai, uniquement, le fait que l’analyse dépouillait, pour<br />
ne plus lui laisser d’<strong>au</strong>tre caractère que la clarté ; « un chaos d’idées claires »<br />
reste une <strong>des</strong> définitions les plus justes que l’on ait données de l’ensemble de<br />
sa <strong>pensée</strong>.<br />
De même qu’il se sentait mal à l’aise, dès qu’il arrivait <strong>au</strong> voisinage <strong>des</strong><br />
régions du confus, de l’imperceptible, de l’incons cient ; de même, il ignorait<br />
les évolutions, les obscures poussées du temps, l’effort du devenir. Est<br />
intelligible ce qui est fixe : fixité <strong>des</strong> langues, fixité <strong>des</strong> espèces, fixité de la<br />
nature. <strong>La</strong> raison était fixe, elle n’avait jamais eu d’<strong>au</strong>tre forme que celle que<br />
ses contemporains et lui-même lui avaient donnée, elle n’en <strong>au</strong>rait jamais<br />
d’<strong>au</strong>tre ; le présent éclairait le passé. S’il y a jamais eu deux langages<br />
incompatibles, c’est celui de Vico et celui de Voltaire.<br />
Au déisme, il a enlevé le caractère aristocratique et quasi sceptique que lui<br />
avait donné Bolingbroke, le caractère poétique que lui avait donné Pope, pour<br />
le mêler intimement à la vie et à l’action. Il ne se faisait pas d’illusion sur la<br />
vie ; et souvent il l’a regardée avec le sentiment poignant de son imperfection.<br />
Quid est felicitas ? Des ennemis s’acharnent contre vous, les amis vous<br />
trahissent, les femmes que vous aimez vous trompent, ou meurent. L’histoire<br />
du genre humain est affreuse à considérer ; à réunir quelques-unes <strong>des</strong> phrases<br />
que l’<strong>au</strong>teur de l’ Essai sur les moeurs a employées pour la peindre, on obtient<br />
un réquisitoire : massacres dans l’Ori ent, massacres <strong>au</strong> Nouve<strong>au</strong> Monde ;<br />
guerres de toute espèce, et parmi les plus funestes les guerres de religion.<br />
« Est-ce l’his toire <strong>des</strong> serpents et <strong>des</strong> tigres que je viens de faire ? Non, c’est<br />
celle <strong>des</strong> hommes. <strong>Les</strong> tigres et les serpents ne traitent point ainsi leur<br />
espèce. » — « Il est <strong>des</strong> temps où la terre entière n’est qu’un théâtre de<br />
carnage, et ces temps sont trop fréquents. » — « L’histoire <strong>des</strong> grands<br />
événements de ce monde n’est guère que l’histoire <strong>des</strong> crimes. » — « Telle est<br />
la déplorable condition <strong>des</strong> hommes, que les remè<strong>des</strong> les plus divins ont été<br />
tournés en poison. » — Quid est justitia ? <strong>Les</strong> criminels p.396 sont<br />
récompensés, les justes souffrent ; les jeunes gens, les enfants, meurent sans<br />
qu’on puisse dire pourquoi ; les vieillards sont misérables. Il y a une<br />
bouffonnerie dans la disproportion <strong>des</strong> effets et <strong>des</strong> c<strong>au</strong>ses. Vanité <strong>des</strong> vanités.<br />
Quid est veritas ? Ignorances éternelles. <strong>Les</strong> bornes de notre esprit sont <strong>au</strong><br />
bout de notre nez ; les fleuves ne vont pas à la mer avec <strong>au</strong>tant de rapidité que