La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 187<br />
avi<strong>des</strong> d’apprendre ; ce n’est pas à aimer, c’est à connaître qu’elles mettaient<br />
leur ardeur. Telle Mme du Châtelet, dont Voltaire fit sa compagne. Tous deux<br />
retirés du monde, et vivant dans ce qu’on appelait la solitude effroyable de<br />
Cirey, ils étendaient jusqu’<strong>au</strong>x limites du possible le cercle de leurs<br />
connaissances, qu’ils trouvaient toujours trop étroit. Ils lisaient du latin, du<br />
grec, de l’anglais, de l’italien ; elle appelait un savant allemand, Samuel<br />
König, pour approfondir les mathématiques et pour continuer les leçons<br />
qu’elle a vait prises de M<strong>au</strong>pertuis et de Clair<strong>au</strong>t ; tandis que Voltaire<br />
s’occupait de physique et prenait part <strong>au</strong> concours de l’Académie <strong>des</strong><br />
Sciences, sur la nature du feu, elle concourait de son côté, devenue à<br />
proprement parler sa rivale. Elle s’initiait à la phi losophie ; il l’attirait vers<br />
Locke, elle l’attirait vers Leibniz, et elle ne cédait pas. Étrange couple, qui<br />
passait ses soirées avec <strong>des</strong> binômes et <strong>des</strong> trinômes ; vignette qui illustre un<br />
aspect du <strong>siècle</strong> <strong>au</strong>ssi sûrement que deux amants, rêvant et pleurant <strong>au</strong> clair de<br />
lune, illustreront le romantisme.<br />
Non moins sûrement l’illustrerait celle qui représenterait un salon, celui de<br />
Mrs. Montagu à Londres, de Caterina Doffin Tron à Venise, de Mme N... à<br />
Stockholm, et entre tous les salons de l’Europe, un salon français ; et entre<br />
tous les salons français, qui se succédèrent comme une dynastie jusqu’à la<br />
Révolution, le salon de Mme du Deffand, f<strong>au</strong>bourg Saint-Germain. On y<br />
verrait, non pas immense et solennelle, mais intime, la pièce tendue de moire<br />
d’or, avec se s ride<strong>au</strong>x de même nuance, ornés de rubans couleur de feu ; par<br />
une porte, on donnerait un coup d’oeil à la chambre voisine, tentures bleues,<br />
étagères, porcelaines fines ; c’est là que se tient, fri leuse, <strong>au</strong> coin du feu,<br />
installée dans un f<strong>au</strong>teuil arrondi qu’elle nomme son tonne<strong>au</strong>, celle qui a<br />
régné sur l’Europe intellec tuelle qu’elle a su appeler à ses rendez -vous. Son<br />
esprit et sa verve, la variété de sa culture et la pénétration de sa psychologie,<br />
le caractère d’une assemblée cosmopolite où se bras saient les idées, le charme<br />
d’une conversation devenue à la fois un jeu et un art, étaient connus jusqu’<strong>au</strong>x<br />
confins du monde p.255 cultivé. Quand elle sut que sa lectrice, Julie de<br />
<strong>Les</strong>pinasse, avait fondé sous son propre toit un salon rival, où les meilleurs de<br />
ses amis se réunissaient avant de passer chez elle, son désespoir ne vint pas<br />
seulement d’une jalousie de femme, de la rancune d’une ingratitude, de<br />
l’amertume d’une trahison : ce qu’on lui volait, c’était sa raison d’être. Une<br />
<strong>au</strong>tre assortissait les âmes, une <strong>au</strong>tre lui enlevait le privilège de diriger la<br />
symphonie <strong>des</strong> esprits.<br />
« Chaque âge humain, chaque <strong>siècle</strong> apparaît à la postérité dominé,<br />
comme la vie <strong>des</strong> individus, par un caractère, par une loi intime, supérieure,<br />
unique et rigoureuse, dérivant <strong>des</strong> moeurs, commandant <strong>au</strong>x faits, et d’où il<br />
semble à distance que l’histoire découle. L’étude à première vue distingue<br />
dans le XVIII e <strong>siècle</strong> ce caractère général, constant, essentiel, cette loi<br />
suprême d’une société qui en est le couronnement, la physio nomie et le<br />
secret : l’âme de ce temps, le centre du monde, le point d’où tout rayonne, le