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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 300<br />

coulisses du théâtre de Mme Neuberg que dans les salles de cours, qu’il<br />

traduisait <strong>des</strong> pièces et qu’il en composait lu i-même ; l’étudiant Gottlob<br />

Ephraim avait décidé qu’il ne serait plus timide, qu’il ne serait plus g<strong>au</strong>che,<br />

qu’il n’<strong>au</strong>rait plus l’air d’un p<strong>au</strong>vre candidat en théologie, qu’il fréquenterait<br />

le monde et qu’il commencerait par apprendre l’escrime et la danse. <strong>Les</strong><br />

livres, c’était une de ses convictions arrêtées, les livres peuvent faire un bon<br />

savant, jamais à eux seuls ils ne formeront un homme ; la froide science<br />

livresque n’imprime dans le cerve<strong>au</strong> que <strong>des</strong> lettres mortes.<br />

Cette crise initiale sera suivie de plusieurs <strong>au</strong>tres ; une impulsion le saisit,<br />

il f<strong>au</strong>t qu’il change de place ; sans adieux il déménage, oubliant derrière lui<br />

quelques dettes : il va partir, il est déjà parti. Installé à Leipzig et commençant<br />

de s’y faire un nom, il se transporte à Berlin ; il abandonnera Berlin pour<br />

revenir à Leipzig, et Leipzig pour entreprendre à travers l’Europe un voyage<br />

que la guerre arrêtera dès sa première étape. Cet homme <strong>au</strong>x allures militaires,<br />

parfaitement à l’aise parmi les soldats, ce secrétaire du gouvernement p russien<br />

<strong>au</strong>près du général T<strong>au</strong>enzin, commandant la place de Bresl<strong>au</strong>, c’est <strong>Les</strong>sing<br />

encore ; le soir il prend les cartes et mène rondement la partie : si on lui<br />

reproche sa passion, il répond que p.406 ce n’est pas la peine de jouer, si l’on<br />

joue froidement. Ce qui ne l’empêche pas de lire toujours, d’étudier encore,<br />

de penser, d’observer <strong>au</strong>tour de lui les origin<strong>au</strong>x qui lui fourniront les<br />

caractères de la meilleure de ses pièces, Mina von Barnhelm. Nouvelle<br />

éclipse : il n’a plus rien à voir avec le gouvernem ent, avec l’armée ; il est<br />

devenu le conseiller du théâtre de Hambourg. — Or ces variations ne sont pas<br />

<strong>des</strong> caprices, elles sont la s<strong>au</strong>vegarde de sa liberté. <strong>Les</strong> faibles se laissent<br />

emprisonner avec résignation ou avec joie, par le métier, les habitu<strong>des</strong>,<br />

l’entourage ; les forts, dès qu’ils se sentent menacés d’enlise ment,<br />

s’échappent. Brisons les chaînes, franchissons les portes, secouons la<br />

poussière de nos pieds sur ce que nous avons aimé, et chaque fois redevenons<br />

nous-mêmes ! Ne cherchons pas la fortune : à chaque aventure <strong>Les</strong>sing est<br />

moins riche d’argent, parce que l’argent n’a pas de valeur pour lui, parce qu’il<br />

le dépense et qu’il le jette ; à chaque aventure il est plus riche d’humanité.<br />

Certains dons intérieurs lui manquaient, la fantaisie, la souplesse, les<br />

nuances ; il était dur, et quelquefois rogue ; son caractère comportait une<br />

nuance de pédanterie pédagogique. Il avait choisi son champ et suivait son<br />

sillon, sans regarder les prés ou les montagnes, les arbres ou les fleurs. Il<br />

admirait son ami Ewald Christian von Kleist, qui trouvait dans la<br />

contemplation de la nature son repos et sa joie : pour son compte, quand il<br />

avait besoin de se divertir, il allait parler littérature ou philosophie avec <strong>des</strong><br />

amis de son espèce, <strong>au</strong> cabaret. Ce n’est pas qu ’il fût insensible, ses ironies,<br />

ses colères et ses emportements le prouvent assez ; assurément il n’était pas<br />

sentimental. Klopstock l’agaçait, et les <strong>au</strong>tres angéliques ; il n’éprouvait<br />

qu’une sympathie médiocre pour les passions du jeune Werther. A l’amo ur il<br />

a donné peu de place : a-t-il vraiment aimé, l’homme qui disait qu’il n’avait<br />

jamais écrit à une femme une lettre qu’on ne pût montrer à qui que ce fût ?

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