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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 324<br />

Or, que faisait la France devant les progrès de cette rivale ? Elle l’acceptait ,<br />

l’invitait, la fêtait ; sa curiosité, sa sympathie, sa faveur, elle les donnait à <strong>des</strong><br />

mérites qui représentaient assez exactement le contraire <strong>des</strong> siens. Elle<br />

devenait anglomane, obéissant à la mode nouvelle. Bien plus ! elle se faisait<br />

elle-même l’inte rmédiaire entre l’Angleterre et l’Europe. <strong>Les</strong> livres anglais<br />

étaient trop lourds, elle les allégeait ; trop désordonnés, elle les régularisait ;<br />

trop longs, elle les abrégeait, par ses traductions. Elle faisait leur toilette, de<br />

sorte qu’ils n’effarouchai ent plus sa clientèle. Après un bref séjour à Paris, ils<br />

repartaient pour les pays latins, et même pour les pays germaniques. Par<br />

l’intermédiaire de la France, les Italiens, les Espagnols, les Portugais ; et les<br />

Allemands, <strong>au</strong> moins jusqu’<strong>au</strong> milieu du siècl e, ont connu la littérature p.437<br />

anglaise. De sorte que ceux même qui prétendaient à l’hégé monie,<br />

travaillaient allégrement à la détruire. Et les deux voisines que nous avons<br />

données comme propagatrices de leur gloire, changeaient en même temps<br />

qu’eux le ur orientation. C’est un travail bien caractéristique que celui<br />

qu’opère le Hollandais Justus Van Effen : en se servant du français, il fait<br />

connaître les journ<strong>au</strong>x anglais, les chefs-d’oeuvre anglais. <strong>La</strong> Suisse évolue :<br />

de Berne et en français, Béat de Muralt annonce la supériorité naissante de<br />

l’Angleterre sur la France ; à Zurich, Bodmer et Breitinger se font les<br />

initiateurs de la nouvelle littérature allemande, Halles crée la poésie philosophique<br />

sur le modèle anglais ; Genève devient, comme Paris, anglomane.<br />

<strong>Les</strong> temps étaient révolus. Parce qu’elle était séduite ; parce qu’elle<br />

éprouvait le besoin de se renouveler ; parce que, fournisseur attitrée de la<br />

clientèle étrangère, son éventaire ne pouvait manquer de ces marchandises<br />

demandées ; parce qu’il y avait du prosélytisme dans toutes ses entreprises<br />

pour ces raisons, la France aidait l’Europe à se libérer de la suprématie<br />

intellectuelle de la France. Rarement elle voyait qu’elle avait affaire à un<br />

esprit tel qu’en l’exaltant elle se niait elle -même. « <strong>Les</strong> poésies nocturnes<br />

d’Young ont fait fortune ici », écrivait Mme Riccoboni à Garrick ; « c’est un<br />

changement sans réplique dans l’esprit français ». Le plus souvent, elle<br />

semblait ignorer cette différence essentielle. Elle ne savait pas que<br />

l’Angleterre s’était arrêtée, dans la propagation de la philosophie <strong>des</strong><br />

lumières ; tandis qu’elle faisait fête à Boling broke, à Hume, à Gibbon, dans<br />

lesquels elle reconnaissait ses compagnons de lutte, elle ne savait pas que<br />

l’opinion britannique se décidait pour un r etour à la foi puritaine. A peine<br />

a-t-on prononcé, dans la France du XVIII e <strong>siècle</strong>, le nom de ce William <strong>La</strong>w,<br />

mystique, qui dès 1773 publiait A Serious Call to a Devout and Holy Life ; et<br />

dès 1731, The Case of Reason : par lui, l’homme de la nature et l’ho mme de<br />

la raison étaient condamnés ; la nature n’était que le sang, la chair, et le<br />

péché ; la raison n’était qu’une lumière factice, venant de l’extérieur : tandis<br />

que le chrétien, éclairé de l’inté rieur par la grâce divine, accédait seul à la<br />

vérité et à la vie. <strong>La</strong> France du XVIII e <strong>siècle</strong> ne montrait que du dédain, quand<br />

par aventure elle le connaissait, pour ce John Wesley qui p.438 avait, dès 1738,<br />

trouvé son chemin de Damas. Il allait, tous les jours de sa vie, catéchisant les

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