La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 175<br />
Il établit les lois, il en montra l’usage.<br />
Dans les G<strong>au</strong>les jamais ce fondateur n’entra ;<br />
De succéder <strong>au</strong>x rois les femmes il priva,<br />
Par la salique loi, qui fut toujours suivie...<br />
D’<strong>au</strong>tres pédagogues, avec leurs manuels rédigés par deman<strong>des</strong> et par<br />
réponses comme ceci<br />
DEMANDE : Quel fut le caractère de Louis XI ?<br />
RÉPONSE : Il était politique, maître de ses passions, courageux, modéré<br />
dans ses plaisirs, et pieux en apparence, mais soupçonneux, vindicatif et très<br />
dissimulé. Ce fut un Roi puissant et absolu que la postérité a mis <strong>au</strong> nombre<br />
<strong>des</strong> méchants princes... » Enfin les <strong>au</strong>teurs de nomenclatures et d’abrégés<br />
chronologiques, qui mettaient bout à bout, sans les vérifier, <strong>des</strong> événements<br />
controuvés et <strong>des</strong> dates incertaines. D’historiens véritables, il n’y en avait pas.<br />
Mais c’est en eux -mêmes que les novateurs trouvaient leurs vrais ennemis.<br />
Ils savaient bien qu’une longue patience leur était nécessaire, et ils étaien t<br />
pressés ; qu’ils ne pouvaient s’appuyer que sur l’érudition, et ils n’aimaient<br />
pas l’érudition. Lire, rechercher, s’informer, d’accord ; mais aller fouiller dans<br />
les archives, accumuler les documents, forcer les portes <strong>des</strong> dépôts<br />
lorsqu’elles ne s’ouvrai ent pas d’elles -mêmes, leur paraissait une besogne de<br />
pédants : ils haïssaient les Baldus, les Scioppius, les Lexicocrassus, les<br />
Scriblerus, qu’ils avaient tendance à confondre avec les savants p.238<br />
véritables. « Nous ne sommes plus dans le <strong>siècle</strong> <strong>des</strong> Vossius, <strong>des</strong> Huets, <strong>des</strong><br />
Borchardts et <strong>des</strong> Kirchers. L’érudition, les recher ches épineuses, nous<br />
fatiguent, et nous aimons mieux courir légèrement sur <strong>des</strong> surfaces que de<br />
nous enfermer pesamment dans <strong>des</strong> profondeurs 1 . » Le Président de Brosses<br />
raconte, que, se trouvant à Modène, il dispose d’une heure et la donne à la<br />
bibliothèque et à Muratori, le savant illustre qui a tiré de l’ombre les<br />
monuments du Moyen Age italien. « Nous trouvâmes ce bon vieillard avec<br />
ses quatre cheveux blancs et sa tête ch<strong>au</strong>ve, travaillant, malgré le froid<br />
extrême, sans feu et nu-tête dans cette galerie glaciale, <strong>au</strong> milieu d’un tas<br />
d’antiquités, de vieilleries italiennes ; car je ne puis me résoudre à donner ce<br />
nom d’antiquité à tout ce qui concerne ces vilains <strong>siècle</strong>s d’ignorance. Je ne<br />
m’imagine pas qu’hormis la théologie polémique, il y ait rien d’<strong>au</strong>ssi rebutant<br />
que cette étude 2. » Le Président de Brosses consent que les Du Cange et les<br />
Muratori, se dévouant comme Curtius, se précipitent dans ce gouffre, mais il<br />
n’est pas curieux d e les imiter.<br />
Ce dévouement-là s’acquiert avec le temps, on en prend l’habitude. Mais<br />
dépouiller le fait, l’épurer, le débarrasser de tout mélange, c’est une opération<br />
délicate. Il y avait une qualité qui ne lui appartenait pas, et qu’on lui avait si<br />
1 Abbé Coyer, Dissertations pour être lues, 1755.<br />
2 Ch. de Brosses, Lettres familières sur l’Italie. Lettre LIII, Séjour à Modène, 1740.