La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 322<br />
Paris ; p.434 la musique française se croit menacée jusque dans son sanctuaire.<br />
Une bataille s’engage, les adversaires sont face à face dans le coin du roi, les<br />
officiels, les conservateurs, les partisans de Rame<strong>au</strong> ; dans le coin de la reine,<br />
les philosophes, les novateurs, les partisans <strong>des</strong> Bouffons. Guerre de couplets,<br />
de pamphlets, de libelles ; on brûle dans la cour de l’Opéra un mannequin<br />
représentant Jean-Jacques Rousse<strong>au</strong>, défenseur <strong>des</strong> Italiens ; quand ces<br />
derniers sont obligés de quitter la place, les passions ne s’apaisent pas, on<br />
continue à se quereller. Tout recommence en 1773, les Gluckistes contre les<br />
Piccinistes ; pour imposer le silence à ces acharnés, il f<strong>au</strong>dra la Révolution 1.<br />
Après tout, on peut vivre assez bien en famille, même si on se chicane<br />
quelquefois : mais c’es t la famille elle-même qui se modifie. Sur la carte dont<br />
nous parlions tout à l’heure, il f<strong>au</strong>t inscrire de nouve<strong>au</strong>x centres intellectuels ;<br />
Berlin va tendre à éclipser Leipzig, la ville <strong>des</strong> livres ; Dresde, la ville <strong>des</strong><br />
be<strong>au</strong>x-arts ; Hambourg, la ville du commerce ; Londres va tendre à éclipser<br />
Paris : rien de moins. Longtemps on n’avait eu que du mépris pour<br />
l’Allemagne littéraire. <strong>La</strong> science et le droit, soit ; mais poésie, non pas.<br />
Comment les Barbares du Nord <strong>au</strong>raient-ils eu le front de revendiquer une<br />
place ? Leur intelligence était grossière, et leur langue imprononçable : ils<br />
n’avaient pas un seul <strong>au</strong>teur qui fît éclat en Europe, <strong>au</strong>trement on l’<strong>au</strong>rait su.<br />
« Nommez-moi un esprit créateur sur votre Parnasse, c’est -à-dire<br />
nommez-moi un poète allemand qui ait tiré de son propre fonds un ouvrage de<br />
quelque réputation, je vous en défie 2 . » Le défi était relevé, et l’on devait<br />
marquer, étape par étape, cet avènement. 1750, Grimm : « Depuis environ<br />
trente ans, l’Allemagne est devenue une volière de petits oise <strong>au</strong>x qui<br />
n’attendent que la saison pour chanter. Peut -être ce temps glorieux pour les<br />
Muses de ma patrie n’est -il pas éloigné... » 1752, le baron de Bielefeld :<br />
Progrès <strong>des</strong> Allemands dans les belles-lettres et les arts. 1753, Grimm : « Le<br />
goût <strong>des</strong> traductions de l’allemand semble s’accroître tous les jours... » 1762 :<br />
« <strong>La</strong> poésie et la littérature alleman<strong>des</strong> sont devenues à la mode à Paris... Si<br />
l’on avait p.435 parlé, il y a douze ans, d’un poète allemand, on <strong>au</strong>rait paru bien<br />
ridicule. Ce temps est changé... » 1766, Dorat, Idée de la poésie allemande :<br />
« O Germanie, nos be<strong>au</strong>x jours sont finis, les tiens vont commencer. » 1766,<br />
Huber, Choix de poésies alleman<strong>des</strong> : une Somme présente <strong>au</strong> public les<br />
oeuvres d’<strong>au</strong>teurs <strong>au</strong>x noms étranges, Uz, Gellert, Rabener, Ha gedorn,<br />
Lichtwer, et <strong>au</strong>tres, avec lesquels il f<strong>au</strong>t compter. « Il n’y a guère plus de seize<br />
ans, écrit Huber, que la poésie allemande était encore entièrement inconnue en<br />
France. » Dans ce court espace d’années, on a passé de l’ignorance à<br />
l’engouement.<br />
Il s’agissait d’un changement d’espèce. Le berger d’Helvétie, Gessner,<br />
signifiait le simple opposé <strong>au</strong> factice, le naturel à l’artificiel, la sincérité du<br />
1 Abbé Prévost, Pour et Contre, Nombre 80.<br />
2 M<strong>au</strong>villon, Lettres françaises et gernraniques,1740