La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 45<br />
on s’assemble, on prie, on chante <strong>des</strong> cantiques où il est question de Babel et<br />
de ses infortunés habitants ; on tombe à genoux, on met le front contre terre,<br />
et on attend l’inspiration divine. Ainsi Johann Christian Edelmann pria,<br />
chanta, attendit, et fut parmi les zélés ; jusqu’<strong>au</strong> jour où il apprit à connaître le<br />
chef de la troupe, qui était venu en personne pour voir la nouvelle recrue, et<br />
où il sentit qu’il ne l’aimait pas. <strong>La</strong> vérité était toujours dans l’hétérodoxie,<br />
mais elle n’était pas ch ez les Illuminés.<br />
Un jour, dans l’Évangile selon saint Jean, son attention fut attirée par ces<br />
mots : •••• •• • ••••• 1. Quelle joie, quelle certitude l’envahirent à cette lecture !<br />
Dieu était raison ; Dieu est Raison. <strong>La</strong> raison, dont il n’avait pas entendu<br />
l’appel jusqu’ici , plongé qu’il était dans la superstition, s’imposait enfin à lui<br />
d’une manière irrévocable. Et tout se passait comme si on l’avait transporté <strong>au</strong><br />
sommet d’une h<strong>au</strong>te montagne, et qu’il eût découvert tout d’un coup <strong>des</strong><br />
horizons immenses ; comme s’il avait ét é un esclave emprisonné, garrotté<br />
dans un cachot, et qu’on l’eût tout d’un coup rendu à la liberté, à la lumière,<br />
<strong>au</strong> soleil ; ou comme si les portes du tombe<strong>au</strong> s’étaient ouvertes pour une<br />
résurrection. Plus d’<strong>au</strong>tre mission, pour lui, que d’aller prêchant l e culte de la<br />
raison parmi les hommes. Il jette son chape<strong>au</strong> à trois cornes et sa perruque, il<br />
renonce à ses manchettes et à son jabot de linge fin, il laisse pousser sa barbe,<br />
il revêt le froc ; il s’en va sur les grands chemins, objet de la dérision<br />
publique. Une phrase travaille encore son esprit, une <strong>pensée</strong> qui vient de<br />
Spinoza : « Dieu est l’essence immanente du monde. » Son devoir est de<br />
mieux connaître ce Spinoza dont les théologiens lui parlaient comme d’un<br />
misérable. Aussi écrit-il à un ami de Berlin pour lui demander d’acheter les<br />
oeuvres du philosophe, lorsqu’elles passeront d’occasion dans quelque vente.<br />
Nouvelle surprise et nouvelle joie : loin d’être le plus méprisable <strong>des</strong> hommes,<br />
Spinoza est le seul qui p.64 ait donné la véritable explication <strong>des</strong> choses.<br />
Enhardi par la lecture du Tractatus theologico-politicus, Edelmann entreprend<br />
de démontrer la f<strong>au</strong>sseté <strong>des</strong> Écritures et de démasquer Moïse ; puis il publie<br />
Die Göttlichkeit der Vernunft, la Divinité de la Raison (1741).<br />
A cette date son rôle est terminé ; il est mis <strong>au</strong> ban de la société, il est<br />
l’impie par excellence, le suppôt de Satan. Ses livres sont confisqués, brûlés ;<br />
on frappe d’amende ceux qui tentent de les mettre en circulation. Il erre dans<br />
le Nord de l’Allemagne et finit par revenir à Berlin, où on le tolère à condition<br />
qu’il ne publie plus rien : ce qui lui fut sans doute la plus pénible offense,<br />
comme l’obscurité où il passa ses dernières années fut sans doute son pire<br />
chagrin .<br />
*<br />
* *<br />
1 [css : retranscription incomplète <strong>des</strong> accents et esprits].