La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 129<br />
révolte, vieux comme le monde, contre l’injustice <strong>des</strong> privi lèges. Elle était<br />
prônée par les rêveurs qui plaçaient son règne <strong>au</strong>x temps heureux de l’âge<br />
d’or, ou dans le domaine <strong>des</strong> Uto pies, ou dans ces pays que seuls les<br />
voyageurs imaginaires pouvaient atteindre ; certains croyaient la voir renaître<br />
dans le Nouve<strong>au</strong> Monde, <strong>au</strong> Paraguay, félicitant les Jésuites d’avoir établi,<br />
là-bas, le champ que tous les Indiens du pueblo cultivaient et moissonnaient,<br />
champ collectif. Elle était invoquée pour justifier la place croissante que la<br />
femme prenait dans la p.177 société ; pour les deux sexes, égalité <strong>des</strong> droits et<br />
<strong>des</strong> devoirs. Du concept de nature on pouvait la tirer <strong>au</strong>ssi, si l’on voulait :<br />
c’est ce que faisait Helvétius, quand il essayait de montrer, à grand scandale,<br />
qu’<strong>au</strong> moment de la naissance, i l n’y avait pas de différence entre l’homme et<br />
l’homme, et que l’éducation seule mettait une empreinte inégale sur les<br />
représentants de l’espèce, à l’origine tous ég<strong>au</strong>x. Plus profondément, l’idée<br />
d’égalité jaillissait encore d’une source plus profonde, et de la volonté même<br />
du <strong>siècle</strong>, quand Bentham, après plusieurs <strong>au</strong>tres, la captait dans une formule<br />
célèbre : « The greatest happiness for the greatest number » : le bonheur, et<br />
du coup la direction <strong>des</strong> affaires publiques, dont il dépendait pour une grande<br />
part, ne devait plus être réservé à un choix d’élus ; le bonheur devenait le droit<br />
de tous : le plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre possible.<br />
Toutefois cette idée était moins pure, utilisée par les gouvernements, qui<br />
se plaisaient à l’adme ttre quand il s’agissait de l’égalité devant l’impôt, par<br />
eux perçu ; de l’égalité du clergé et de la noblesse devant les rois, quand il<br />
s’agissait de faire respecter ou d’accroître la force du pouvoir royal ; de<br />
l’égalité <strong>des</strong> fonctionnaires, nobles ou man ants, quand il s’agissait pour les<br />
chefs d’être mieux servis, mais qui la reniaient et qui la combattaient, dès<br />
qu’elle tendait à s’en prendre à leur <strong>au</strong>torité.<br />
Cette idée était moins puissante, parce qu’elle rencontrait <strong>au</strong>ssitôt une<br />
limitation. Égalité politique, oui ; égalité sociale, halte-là ! On expliquait, à<br />
grand renfort d’arguments, que cette dernière n’était pas réalisable dans la<br />
pratique, et, déf<strong>au</strong>t plus grave, qu’elle n’était pas logique. L’égalité<br />
géométrique ne pouvait exister entre les hommes ; et dès lors, que nous dictaient<br />
à la fois notre intérêt et notre raison ? Que pour nous rendre<br />
mutuellement heureux, nous devions nous contenter de cette espèce d’égalité<br />
morale qui consiste à maintenir chacun dans ses droits, dans un état<br />
héréditaire ou acquis, dans sa terre, dans sa maison. Grande sottise, selon<br />
d’Alembert, que d’accuser les philosophes, <strong>au</strong> moins ceux qui méritent ce<br />
nom, de prêcher l’égalité, car elle est une chimère. <strong>La</strong> nature selon le baron<br />
d’Holbach, établit une inégalité nécessair e et légitime entre ses membres ;<br />
cette inégalité se fonde sur le but invariable de la Société, à savoir sa<br />
conservation et son p.178 bonheur. <strong>La</strong> sécurité, selon Filangieri, était<br />
intimement unie à la félicité ; conservazione e tranquillità sont les mots qu’il<br />
inscrit conjointement dans son programme idéal. Bref, l’homme vertueux ne<br />
sera jamais égal <strong>au</strong> coquin, l’homme d’esprit à l’imbécile, l’homme<br />
courageux <strong>au</strong> pusillanime ; il y a <strong>des</strong> inégalités morales entre les hommes, de