La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 122<br />
consent. L’égoïste intégral se punirait lui -même en s’isolant. <strong>La</strong> récipr ocité est<br />
absolue : en travaillant pour <strong>au</strong>trui on travaille pour soi-même ; l’obligation de<br />
chacun est celle de tous.<br />
Mais les voyages et l’histoire ne rapportent -ils pas d’étranges variations de<br />
la morale, suivant les sols, suivant le ciel ? On rencontrait <strong>au</strong> bout du monde<br />
<strong>des</strong> s<strong>au</strong>vages qui mangeaient les vieillards de la tribu ; les <strong>La</strong>cédémoniens<br />
honoraient le vol, pour lequel on condamnait <strong>au</strong>x mines chez les Athéniens ; il<br />
était défendu à un homme d’épouser sa soeur dans la Rome antique ; mais il<br />
était permis d’épouser la soeur de son père, chez les Égyptiens... A quoi l’on<br />
répondait que l’on variait, en effet, sur l’interprétation de certaines valeurs,<br />
mais non pas sur l’idée du permis et du défendu. Quelques cas isolés préva -<br />
laient-ils contre la loi de l’intérêt général, présente à tous les esprits, inscrite<br />
dans tous les coeurs ?<br />
B — Qu’est-ce que la loi naturelle ?<br />
A — L’instinct qui nous fait sentir la justice.<br />
B — Qu’appelez-vous juste et injuste ?<br />
A — Ce qui paraît tel à l’univers entier 1.<br />
p.169 De sorte qu’ici encore, et non sans quelque peine, l’uni versalité de fait<br />
rejoignait l’universalité de raison. En somme, la morale s’organisait comme<br />
une « science expérimentale », comme une « psychologie naturelle ». Dès<br />
lors, tout devenait simple et tout devenait clair. Il n’y avait plus qu’à suivre<br />
quelques formules élémentaires : ne fais pas à <strong>au</strong>trui ce que tu ne voudrais pas<br />
qu’on te fît ; fais à <strong>au</strong>trui ce que tu voudrais qu’on te fît ; aime Dieu ; sois<br />
juste : alors les méchants disparaîtraient, ou à peu près ; seuls feraient encore<br />
le mal quelques obstinés, quelques incorrigibles ; comme on récompenserait<br />
les sages, comme on les célébrerait dans <strong>des</strong> fêtes publiques, leur nombre<br />
s’<strong>au</strong>gmenterait de jour en jour, par contagion ; et bientôt tout le monde serait<br />
heureux.<br />
Il s’agissait de conquérir le public à la mode nouvelle. On agirait par les<br />
journ<strong>au</strong>x moralisants, qui de jour en jour étendaient leur clientèle ; par <strong>des</strong><br />
livres qui ne seraient pas <strong>au</strong>stères et qui plairaient <strong>au</strong> grand publie. Aux<br />
confins de la Chine s’étend le vaste pays du Thibet, placé sous l’<strong>au</strong>torité<br />
spirituelle du Grand <strong>La</strong>ma. Au Grand <strong>La</strong>ma l’Empereur de Chine a envoyé en<br />
messager un illustre docteur ; celui-ci est rentré à Pékin après un séjour de six<br />
mois, rapportant curiosités et trésors de toute espèce ; entre <strong>au</strong>tres, un<br />
manuscrit de la plus h<strong>au</strong>te antiquité, un traité de morale qui n’avait jamais été<br />
traduit parce qu’il était écrit dans la langue <strong>des</strong> anciens Gym nosophistes ou<br />
Bramins. Le docteur l’a mis en chinois ; du chinois on l’a m is en anglais, pour<br />
1 Voltaire, Dialogues philosophiques, l’A. B. C. 1768. Quatrième entretien De la loi naturelle<br />
et de la curiosité.