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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 12<br />

de Groenkaof, dans l’archipel de Mangahour qu’<strong>au</strong>cune carte n’indique, une<br />

humanité qui a su trouver <strong>des</strong> constitutions meilleures, <strong>des</strong> religions plus<br />

pures, la liberté, l’égalité et le bon heur. Pourquoi, quand nous pourrions nous<br />

procurer tous ces biens, continuons-nous à nous traîner dans notre misère ? A<br />

c<strong>au</strong>se de nos vices ; et nos vices ne viennent que de notre longue erreur.<br />

C’est bien la critique universelle ; elle s’exerce dans tous l es domaines,<br />

littérature, morale, politique, philosophie ; elle est l’âme de cet âge<br />

querelleur ; je ne vois <strong>au</strong>cune époque où elle ait eu <strong>des</strong> représentants plus<br />

illustres, où elle se soit plus généralement exercée, où elle ait été plus acide,<br />

avec ses airs de gaieté.<br />

Pourtant, elle ne demande pas une transformation radicale p.19 de notre<br />

être ; elle ne s’attaque pas à l’égoïsme éternel que les moralistes du XVI I e<br />

<strong>siècle</strong> avaient dénoncé ; elle ne demande pas que nous changions notre nature<br />

pour devenir <strong>des</strong> saints, pour devenir <strong>des</strong> dieux. Il y a deux tendances mêlées<br />

dans la psychologie de ces réclamants, l’une de colère et l’<strong>au</strong>tre d’espoir.<br />

Même Jonathan Swift, si sombre, ne laisse pas de nous faire entrevoir un peu<br />

d’azur <strong>au</strong> milieu <strong>des</strong> nuages de notre ciel. Il déclare qu’il déteste l’animal<br />

qu’on appelle l’homme et que ses voyages sont échaf<strong>au</strong>dés sur cette grande<br />

construction de misanthropie. Mais il lui arrive <strong>au</strong>ssi, tout d’un coup, de tenir<br />

<strong>des</strong> propos moins décourageants : à supposer que la parcelle de raison qui est<br />

inexplicablement mise en nous se développât ; que la politique se réduisît <strong>au</strong><br />

sens commun et à la prompte expédition <strong>des</strong> affaires ; que quelqu’un fût<br />

capable de faire croître deux épis, ou seulement deux brins d’herbe, sur un<br />

morce<strong>au</strong> de terre où <strong>au</strong>paravant il n’y en avait qu’un, il ne f<strong>au</strong>drait pas<br />

désespérer entièrement de notre espèce. Si nous nous débarrassions de notre<br />

vice essentiel, qui est l’orgueil, nous serions moins absur<strong>des</strong> et moins malheu -<br />

reux. Mais nous avons aggravé nos misères, nous en avons fabriqué d’<strong>au</strong>tres :<br />

qui sait si une nouvelle sagesse, un bon sens simple et mo<strong>des</strong>te, une<br />

conception de la vie mieux proportionnée à notre nature, ne seraient pas <strong>des</strong><br />

remè<strong>des</strong> que nous n’avons pas appliqués, mais qui demeurent toujours à la<br />

portée de notre main ?<br />

A plus forte raison les <strong>au</strong>tres se reprennent-ils. Leur pessimisme n’est pas<br />

cosmique ; il ne s’étend pas à tout l’univers ; il ne porte pas sur notre<br />

condition totale. Ils dénoncent, bien plutôt, un présent qui les irrite, mais<br />

qu’ils c roient qu’on peut changer. Leur ennemi, c’est l’état social, tel qu’ils<br />

l’ont trouvé en venant <strong>au</strong> monde ; qu’on le détruise, qu’on le rem place, et<br />

l’avenir sera meilleur.<br />

Toujours une revendication accompagne leur critique. En 1728, John Gay,<br />

qui n’est pa s un géant, mais qui est un ami <strong>des</strong> géants, Arbuthnot, Pope, Swift,<br />

donne une pièce qu’il intitule The Beggar’s Opera, et qui peut ne paraître<br />

d’abord qu’une innocente plaisanterie. L’Opéra italien de Londres lui donne<br />

sur les nerfs ; il persiflera ces grands chanteurs à roula<strong>des</strong>, ces sentiments<br />

emphatiques, ces sottes intrigues, indignes du mâle génie <strong>des</strong> ru<strong>des</strong> Bretons.

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