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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 247<br />

une <strong>des</strong> querelles dont nous avons vu tant d’exemples dans ce <strong>siècle</strong> qui, à<br />

chaque occasion, sentait se ranimer sa passion intellectuelle ; une querelle<br />

suscitée par le livre de Johann Robeck, De Morte voluntaria Philosophorum<br />

et Bonorum Vivorum (1736), soutenant que l’on ne pouvait accuser de lâcheté,<br />

de folie, et encore moins de crimes les Brutus et les Caton ; affirmant que la<br />

mort de Socrate avait été volontaire plutôt que forcée. Robeck avait raison,<br />

Robeck avait tort.<br />

Le pathétique de V<strong>au</strong>venargues vient de la succession d’images<br />

douloureuses qui représentent sa vie ; l’enfant qui n’est pas aimé ;<br />

l’a dolescent qui n’est pas compris ; le jeune lieutenant du régiment du roi qui<br />

se traîne dans l’ennui <strong>des</strong> petites garnisons ; le combattant qui espère trouver,<br />

à la guerre, l’occasion de manifester avec éclat sa valeur inemployée ; le<br />

vaincu, l’infirme ; et, déchu de ses rêves, le malade qui tousse, qui ne voit<br />

plus, qui a le visage marqué par la petite vérole, et qui vient finir à Paris, dans<br />

un médiocre hôtel d’une p<strong>au</strong>vre rue, une existence douloureuse qui trouve son<br />

terme à trente-deux ans. Pathétiques, sa noblesse, son courage, et la discrétion<br />

de sa plainte continue : quand il se promène dans les jardins du Luxembourg,<br />

et qu’il s’y voit environné de malheureux, accablés de leur misère sourde,<br />

vieillards qui cachent la honte de leur p<strong>au</strong>vreté, jeunes gens que la gloire<br />

entretient vainement de ses chimères, ambitieux qui concertent <strong>des</strong> témérités<br />

inutiles pour sortir de leur obscur état : son âme s’agite et se trouble, il se sent<br />

le frère de ces p.336 infortunés : mais ce n’est pas un cri de révolte qui lui vi ent<br />

<strong>au</strong>x lèvres, c’est un cri de pitié. Pathétique, sa lutte pour la survie : il jette sa<br />

bouteille à la mer, quelques <strong>pensée</strong>s, <strong>des</strong> réflexions, <strong>des</strong> essais, dont il n’est<br />

pas sûr qu’ils empêcheront son nom de sombrer dans un n<strong>au</strong>frage éternel.<br />

Pathétique, la forme même qu’il a choisie : la moins personnelle, celle qui a<br />

l’air de vouloir être le plus constamment objective, et qui est pleine d’aveux et<br />

de regrets, chaque fragment n’étant que la partie détachée d’une perpétuelle<br />

confession. Pathétique, l’influenc e du <strong>siècle</strong> qui travaille à mettre sur lui sa<br />

marque, à lui imposer ses maîtres à penser, ses lectures favorites, ses<br />

systèmes : mais qui n’atteint pas les retraites profon<strong>des</strong> d’une âme capable de<br />

se recueillir, de rejeter ce qui n’est pas conforme à son e ssence, de retenir<br />

seulement ce qu’elle aime et ce qu’elle veut.<br />

Aussi, sous la forme si pure et si dépouillée qui ne peut s’empêcher<br />

quelquefois de frémir, trouve-t-on les moments de la formation d’une morale<br />

qui finit par être tout à lui. Il ne se faisait pas d’illusion sur la nature : « Entre<br />

rois, entre peuples, entre particuliers, le plus fort se donne <strong>des</strong> droits sur le<br />

plus faible, et la même règle est suivie par les anim<strong>au</strong>x, par la matière, par les<br />

éléments, etc. ; de sorte que tout s’exé cute dans l’univers par la violence ; et<br />

cet ordre, que nous blâmons avec quelque apparence de justice, est la loi la<br />

plus générale, la plus absolue, la plus immuable, et la plus ancienne de la<br />

nature. » De même, il ne se faisait pas d’illusion sur le bonheur ; la vie est<br />

pour une part, m<strong>au</strong>vaise ; l’injustice de la naissance, celle surtout, presque

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