La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 179<br />
hommes, comment on vivait dans l’intérieur <strong>des</strong> familles, quels arts étaient<br />
cultivés, plutôt que de répéter tant de malheurs et tant de combats, funestes<br />
objets de l’his toire, et lieux communs de la méchanceté humaine. »<br />
Après cela, leur « enthousiasme historique 1 » leur a-t-il permis de mener<br />
jusqu’<strong>au</strong> bout, sans défaillance, leur pr ojet de constituer définitivement<br />
l’histoire ? A leur croyance à la stabilité et à l’identité, ont -ils été capables de<br />
substituer l’idée d’évolution ? Montesquieu, dans ses notes intimes, a été<br />
frappé par une théorie de Vico, celle <strong>des</strong> corsi e ricorsi : D’ abord p.243 les<br />
nations sont barbares ; elles conquièrent, et elles deviennent <strong>des</strong> nations<br />
policées ; cette police les agrandit, et elles deviennent <strong>des</strong> nations polies ; la<br />
politesse les affaiblit ; elles sont conquises et redeviennent barbares ; et<br />
presque toutes les nations du monde roulent dans ce cercle... Dans ses Considérations<br />
sur les c<strong>au</strong>ses de la grandeur et de la décadence <strong>des</strong> Romains, le<br />
même Montesquieu s’en est tenu à l’idée de naissance, de progrès et de<br />
chute : le passage de la grandeur à la décadence a frappé le <strong>siècle</strong> <strong>au</strong> point<br />
qu’il n’y a guère eu d’historien qui n’ait admis cette idée : c’est une <strong>des</strong> traces<br />
les plus visibles de l’influence multiple de ce grand esprit. — Voltaire, avec<br />
une anxiété qui rend pathétique plus d’une page de son oeuvre historique, a<br />
cru discerner une évolution qui menait <strong>au</strong> progrès ; progrès très lent, très<br />
difficile, sans cesse menacé, et qui pourtant, à de certaines époques<br />
privilégiées de la civilisation, se faisait jour. Que de trouble et que de misère,<br />
que de sang répandu ! Un esprit de guerre, de meurtre et de <strong>des</strong>truction a<br />
toujours dominé la terre. Pourtant, <strong>au</strong> milieu de ces saccagements, apparaît un<br />
amour de l’ordre qui anime en secret le genre humain, et qui empêche sa ruine<br />
totale. « C’est un <strong>des</strong> ressorts de la Nature qui reprend toujours sa force ; c’est<br />
lui qui a formé le code <strong>des</strong> nations ; c’est par lui qu’on révère la loi et les<br />
ministres de la loi dans le Tunquin et dans l’île de Formose, comme à<br />
Rome. » Voltaire respire, reprend courage et se sent joyeux, quand il arrive à<br />
l’un <strong>des</strong> grands <strong>siècle</strong>s qui ressemblent à <strong>des</strong> habitations dans les déserts<br />
s<strong>au</strong>vages, celui d’Alexandre, d’Auguste, de Léon X, de Louis XIV ; il est<br />
reconnaissant à ces grands hommes qui lui permettent l’espoir. Pour<br />
<strong>Les</strong>sing 2, l’édu cation du genre humain n’est qu’un lent devenir ; la raison,<br />
même quand elle se projette de l’extérieur, est absorbée par la raison inté -<br />
rieure qui jamais ne subit de défaite totale et qui continue obstinément sa<br />
marche progressive jusqu’<strong>au</strong> jour où la véri té divine et la vérité humaine se<br />
répandront et ne formeront plus que la vérité unique. Après <strong>Les</strong>sing peut<br />
paraître Herder.<br />
Ont-ils atteint ce concret dont ils étaient si loin à leur point de départ ? Pas<br />
tout à fait ; l’histoire n’a pas encore été p.244 une résurrection. Soit par un goût<br />
du dramatique qu’ils n’ont pas réussi à abolir en eux ; soit, chez quelques-uns,<br />
1 Joh Chr. Adelungs. Pragmatische Staatsgeschichte Europens. Gotha, 1762.<br />
2 Voir, pour un plus ample développement de cette idée, Troisième partie, p. 214-2I7.