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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 19<br />

Refuser de jouir <strong>des</strong> bienfaits que l’<strong>au</strong>teur <strong>des</strong> choses a préparés pour vous,<br />

c’est faire preuve d’ignorance et de perversité 1 .<br />

Rien de commun avec le bonheur <strong>des</strong> mystiques, qui ne tendaient à rien de<br />

moins qu’à se fondre en Dieu ; avec le bonheur d’un Fénelon, qui se sentait<br />

l’âme plus sûre et plus simple que celle d’un petit enfant, quand en <strong>pensée</strong> il<br />

rejoignait le Père ; avec le bonheur d’un Bossuet, douceur de se sentir<br />

commandé par le dogme et conduit par l’Église, certi tude de compter un jour<br />

parmi les élus qui figurent à la droite du Saint <strong>des</strong> Saints ; avec le bonheur <strong>des</strong><br />

justes qui acceptaient l’obéissance à la loi et espéraient la récompense qui ne<br />

finirait plus ; avec le bonheur <strong>des</strong> simples abîmés dans leur prière ; avec les<br />

béatitu<strong>des</strong>...<br />

Des béatitu<strong>des</strong>, avant-goût du ciel, ceux qui remplaçaient les anciens<br />

maîtres ne se souciaient plus ; un bonheur terrestre, voilà ce qu’ils voulaient.<br />

Leur bonheur était une certaine façon de se contenter du possible, sans<br />

prétendre à l’absolu ; un bonheur de médiocrité, de juste milieu, qui excluait<br />

le gain total, de peur d’une perte totale ; l’acte d’hommes qui prenaient<br />

paisiblement possession <strong>des</strong> bienfaits qu’ils discernaient dans l’apport de<br />

chaque jour. C’était encore un bonheur de calcul. Tant pour le mal, d’accord ;<br />

mais tant pour le bien : or le bien l’emporte. Ils procédaient même à une<br />

opération mathématique. Faites la somme <strong>des</strong> avantages de la vie, la somme<br />

<strong>des</strong> m<strong>au</strong>x p.29 inévitables ; soustrayez la seconde de la première, et vous verrez<br />

que vous conservez un bénéfice. D’un côté , le total <strong>des</strong> points favorables,<br />

multipliés par l’intensité ; de l’<strong>au</strong>tre, le total <strong>des</strong> points défavorables,<br />

multipliés par l’intensité ; si, à la fin de votre journée, vous trouvez que vous<br />

avez eu trente-quatre degrés de plaisir et vingt-quatre degrés de douleur, votre<br />

compte est prospère et vous devez vous tenir pour satisfait 2.<br />

C’était un bonheur construit. Regardons, tel qu’il se considère dans son<br />

miroir, l’<strong>au</strong>teur <strong>des</strong> Lettres Persanes ; profitons, moins de ce qu’il a éb<strong>au</strong>ché,<br />

comme tout le monde alors, un Essai sur le Bonheur, que <strong>des</strong> notes qu’il a<br />

prises dans <strong>des</strong> cahiers intimes ; voyons la manière dont il prend en main la<br />

direction d’une existence qu’il a si parfaitement réussie. Je partirai, se dit<br />

expressément Montesquieu, d’une donnée positive : je n’ambitionnerai pas la<br />

condition <strong>des</strong> Anges et ne me plaindrai pas de ne pas l’obtenir ; je m’en<br />

tiendrai <strong>au</strong> relatif. Ce principe étant admis une fois pour toutes, je constate<br />

que le tempérament joue un grand rôle dans cette affaire ; et sur ce point, je<br />

suis bien partagé : « il y a <strong>des</strong> gens qui ont pour moyen de conserver leur<br />

santé de se purger, saigner, etc. Moi, je n’ai pour régime que de faire diète<br />

1 S. Johnson, The Rambler, n° 44, 18 août 1750.<br />

2 Wollaston, Religion of nature delineated, 1722. Éb<strong>au</strong>che de la religion naturelle, traduite<br />

de l’anglais. <strong>La</strong> Haye, 1756. Section II, De la félicité, Note p. 110 : « Il f<strong>au</strong>t nécessairement<br />

donner une idée de la comparaison que l’ <strong>au</strong>teur fait <strong>des</strong> degrés de plaisir et de douleur avec<br />

les nombres, parce que ceci fera entrer plus facilement le lecteur dans les plus abstraites<br />

propositions de cette section, où l’<strong>au</strong>teur fait une perpétuelle allusion à l’arithmétique ! », etc.

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