La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 321<br />
Là j’ai, pendant dix mois, subsisté de concert,<br />
Ou n’ai vécu que de <strong>des</strong>sert 1...<br />
Qu’on lise le Voyage de la raison en Europe (1772), de Caraccioli, un <strong>des</strong><br />
gallicisants qui firent du français leur langue première. « Voyons », dit la<br />
Raison, « si les lumières que j’ai départies <strong>au</strong>x Européens, comme à ceux<br />
d’entre les hommes que j’affectionne de préférence, ne se sont point<br />
obscurcies, et s’ils révèrent encore mes lois. » <strong>La</strong> Raison, personnifiée par un<br />
« philosophe aimable », est déçue, car la Hollande, bien que possédant encore<br />
<strong>des</strong> vertus éminentes, est en décadence, le commerce y excite un intérêt trop<br />
sordide ; les Portugais p.433 sont fins, mais entêtés de scolastique ; les<br />
Espagnols ont quelques hommes rares et sublimes, mais ils sont abrutis par<br />
leur paresse...<br />
Puisque les Français s’arrogent une supériorité, la critique se fera<br />
particulièrement dure pour eux. Haro sur « Jean de France », qui aime la<br />
bonne chère, le vin et les filles ; sur le Monsù, qui agace par ses compliments,<br />
ses pirouettes et l’expression de son dédain pour tout ce qui ne porte pas la<br />
marque de Paris ; sur la Mamselle, coquette et perfide ; sur M. de Fatencourt<br />
et sur M. Lebhaft ; voire même sur le « fripon francese », sur l’aventurier qui<br />
se pare d’un f<strong>au</strong>x titre de noblesse et s’insinue dans d’honorables familles afin<br />
de les duper ; haro sur M. Ric<strong>au</strong>t de la Marlinière ! « Souvent un Français,<br />
après avoir épuisé toutes ses ressources, quitte Paris qui ne lui promet point de<br />
fortune ; le chevalier d’ industrie laisse ses dettes à son tailleur et se fait maître<br />
de langues, à deux florins par mois, chez la nation germanique 2... » Bref ils<br />
ne sont, ces Français vaniteux, que les Graeculi du monde moderne.<br />
Des querelles éclatent, qui manifestent ces animosités. Paris s’est moqué<br />
de l’Anglais Rostbeef ; Londres <strong>au</strong>ra sa vengeance et se moquera du<br />
petit-maître parisien, mis en farce. Celui-ci, dépouillé de ses atours, laissera<br />
voir une chemise en toile à sac ; sa tête, tombée la perruque, apparaîtra<br />
couverte de gale et d’emplâtres ; on trouvera dans ses poches une croûte de<br />
pain rongée, quelques oignons grignotés, un peigne crasseux qui a perdu la<br />
moitié de ses dents 3. Walpole a sévèrement réglementé les théâtres<br />
londoniens, mais a permis à une troupe française de faire concurrence <strong>au</strong>x<br />
acteurs loc<strong>au</strong>x. <strong>La</strong> troupe débute <strong>au</strong> mois d’octobre 1738 : la populace<br />
enfonce les portes, s’empare <strong>des</strong> places, siffle les intrus, leur lance <strong>des</strong><br />
projectiles divers et <strong>des</strong> coute<strong>au</strong>x ; <strong>au</strong>-dehors, elle brise vitres et lanternes, elle<br />
démolit la façade du théâtre. Quand il s’agit de ce qui touche le plus<br />
profondément peut-être la sensibilité d’un peuple, la musique, la dispute<br />
devient interminable. En 1752, une troupe italienne s’installe à l’Opéra de<br />
1 Le mari garçon, 1742.<br />
2 Il fripon francese colla dama alla moda, commedia del marchese Gioseffo Gorini Corio,<br />
Milan, 1730.<br />
3 Zacharie, Le Mouchoir, Poème héroï-comique, Chant III. Dans le Choix de Poésies<br />
alleman<strong>des</strong>, de Huber, 1766.