La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 252<br />
eux... Ainsi la création, qui paraît être un acte arbitraire, suppose <strong>des</strong> règles<br />
<strong>au</strong>ssi invariables que la fatalité <strong>des</strong> athées...<br />
Idée non moins chère à Montesquieu, qui l’avait exprimée dès les Lettres<br />
Persanes, qui en avait fait le soutien de ses Considérations ; or sa fatalité<br />
rationnelle ressemblait à celle de Spinoza.<br />
C’est bien ce qu’ava ient vu, dès l’apparition de son grand ouvrage, les<br />
défenseurs de l’orthodoxie ; et ils lui avaient reproché, expressément, de faire<br />
revivre l’esprit de l’ Éthique. Obligé de publier sa Défense contre les critiques<br />
qui s’élevaient contre lui, Montesquieu fu t obligé <strong>au</strong>ssi de s’expliquer sur ce<br />
point : il n’était pas spinoziste. Le mouvement de sa réponse est ici très vif :<br />
comment serait-il spinoziste, lui qui a pris soin de distinguer expressément le<br />
monde matériel du monde spirituel, lui qui a dit que Dieu avait du rapport à<br />
l’univers comme créateur et comme conservateur ? Un Dieu créateur et<br />
conservateur est l’opposé du panthéisme. Écartez de moi cette calomnie :<br />
spinoziste, je ne l’ai jamais été, je ne le serai jamais.<br />
Le fait est que sa personnalité, si vigoureuse, répugne à un système qui ne<br />
distingue pas le Moi de la substance infinie, et le conçoit seulement comme un<br />
<strong>des</strong> mo<strong>des</strong> de cette substance ; que ses Cahiers intimes nous le montrent en<br />
train d’argumenter à ce sujet. Comment ! un grand génie emploie toute sorte<br />
de raisonnements mathématiques, que l’on dit très forts et qui ne sont que très<br />
obscurs, pour réduire mon âme à la dignité de mon corps, et pour me<br />
persuader que je mourrai comme un insecte ! Il m’enlève tout ce que je me<br />
croyais de plus personnel ! Je serais plus perdu dans l’étendue qu’une<br />
particule d’e<strong>au</strong> n’est perdue dans la mer ! Ce même philosophe veut bien, en<br />
ma faveur, détruire en moi la liberté ! Il m’ôte le motif de toutes mes actions<br />
et me soulage de toute la morale. Il m’honore ju squ’<strong>au</strong> point de vouloir que je<br />
sois un grand scélérat sans crime et sans que personne ait le droit de le trouver<br />
m<strong>au</strong>vais. J’ai bien <strong>des</strong> grâces à rendre à ce philo sophe...<br />
En ces termes il argue, avec cette passion il se révolte contre Spinoza. Ne<br />
mettons pas en doute la parole d’un grand homme ; p.343 ne tenons pas compte<br />
du sentiment contemporain ; écartons l’impression que la doctrine qu’il<br />
réprouve se révèle dans l’ Esprit <strong>des</strong> Lois sinon à l’état massif, du moins par<br />
traces ; nous serons obligés, pourtant, de reconnaître une <strong>au</strong>tre présence : celle<br />
<strong>des</strong> Stoïciens, pour qui le monde était raison et nécessité. D’une filiation entre<br />
les Stoïciens et lui-même, Montesquieu s’est défendu <strong>au</strong>ssi, cette fois comme<br />
à regret, mollement, faiblement : comme un homme qui, en les désavouant,<br />
n’en reste pas moins attaché à <strong>des</strong> amis très chers. Il a si souvent loué leur<br />
morale, complimenté les plus illustres de leurs représentants, admiré les<br />
Empereurs romains qui les avaient suivis ; si publiquement avoué que s’il<br />
n’était pas né dans la religion chrétienne, il <strong>au</strong>rait compté parmi leurs<br />
disciples ; dans le travail de sa préparation, il s’était si familière ment approché<br />
d’eux, jusqu’à s’annexer une de leurs formules, pa r lui trouvée dans Cicéron,