La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 48<br />
témoignages, <strong>des</strong> traits d’<strong>au</strong>dace, <strong>des</strong> irrévérences, qu’une impulsion. Ils<br />
agiront dans la bibliothèque <strong>des</strong> historiens et <strong>des</strong> exégètes, et les professeurs<br />
les donneront à lire à leurs étudiants ; ils figureront dans les comptes rendus<br />
<strong>des</strong> revues savantes ; ceux <strong>des</strong> Allemands qui feront le voyage de Londres les<br />
consulteront sur place et <strong>au</strong>ront plaisir à proclamer leur dette. Quand, en 1741,<br />
Johann Lorenz Schmidt, l’homme qui voulait rationaliser la Bible, traduira le<br />
livre de Tindall, Christianity as old as the Creation, on peut dire que le<br />
courant p.68 venu d’Angleterre se sera joint <strong>au</strong> courant de la <strong>pensée</strong> alle mande,<br />
non pour se confondre avec lui, mais pour en précipiter les effets.<br />
<strong>Les</strong> Français procédaient <strong>au</strong>trement. Ils ne se livraient pas à <strong>des</strong> étu<strong>des</strong><br />
d’exégèse ; d’<strong>au</strong>teur qui se soit penché sur les textes sacrés, qui se soit donné<br />
la peine d’apprendre l’hébreu ou seulement le grec, qui ait fait un sé vère<br />
apprentissage de la fonction de critique, qui ait ressuscité Richard Simon, on<br />
n’en voit guère parmi les écrivains connus. Ils se contentaient de cueillir dans<br />
<strong>des</strong> ouvrages divers les arguments qui leur semblaient efficaces, et ils leur<br />
faisaient un sort. Aussi bien visaient-ils un <strong>au</strong>tre public que celui <strong>des</strong><br />
docteurs : les gens du monde, les bourgeois, les femmes, le grand public. Le<br />
juge <strong>au</strong>quel ils en appelaient le plus souvent était le bon sens, tout uni. De leur<br />
façon vive et rapide, ils faisaient exprès de se heurter <strong>au</strong>x difficultés, pour<br />
montrer en un clin d’oeil qu’elles étaient insurmontables. Point d’obscurités<br />
métaphysiques, point de longues dissertations capables de rebuter les lecteurs,<br />
point d’étalage d’érudition ; mais une composition soignée, un style agréable,<br />
une forme agile.<br />
Et leur clarté, et l’air de simplicité lumineuse qu’ils confé raient à tous les<br />
sujets ; et, sous leurs apparences légères, le grave souci, le souci permanent<br />
qui demeurait <strong>au</strong> fond de leur <strong>pensée</strong>. Voltaire revenait d’Angleterre, racontait<br />
sa découverte, et son récit <strong>au</strong>rait pu n’être qu’une relation de voyage après<br />
be<strong>au</strong>coup d’<strong>au</strong>tres, avec plus de pénétration et plus d’esprit. Mais voici que<br />
ces lettres anglaises devenaient <strong>des</strong> lettres philosophiques ; qu’elles trait aient<br />
de la liberté <strong>des</strong> sectes, de l’indifférence <strong>des</strong> religions, et, comme dit l’<strong>au</strong>teur,<br />
de la petite bagatelle de l’immortalité de l’âme. Montesquieu écrivait une<br />
Histoire romaine, après tant d’<strong>au</strong>tres ; et voici qu’à propos d’un cas<br />
particulier, il substituait <strong>des</strong> c<strong>au</strong>ses intérieures <strong>au</strong>x volontés divines, pour<br />
expliquer la grandeur et la décadence <strong>des</strong> nations. Ou bien il composait un<br />
ouvrage juridique, et voici que ce qui était enjeu n’était rien de moins que<br />
l’<strong>au</strong>torité du Droit divin. Il n’en allait pas <strong>au</strong> trement pour be<strong>au</strong>coup d’<strong>au</strong>teurs<br />
de la seconde classe ; Toussaint étudiait les moeurs du <strong>siècle</strong> ; mais voici<br />
qu’<strong>au</strong> lieu de décrire p.69 simplement un aspect transitoire de l’éternelle<br />
comédie, sa démonstration tendait à séparer la morale de la religion. Helvétius<br />
étudiait l’homme, l’homme, sans mystère et sans lendemain.<br />
Plus qu’en <strong>au</strong>cun <strong>au</strong>tre pays, ils étaient nombreux, et, disputes à part, se<br />
serraient contre l’ennemi commun ; ils avaient dans leur troupe une foule de