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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 221<br />

laquelle la division est possible, p.300 et dont la combinaison forme les corps.<br />

Reste à savoir comment ces atomes s’organisent. On ne voit pas comment les<br />

particules grossières qu’ont imaginées Épicure et Lucrèce après lui<br />

fourniraient la solution du problème. Même les lois de la matière, comme<br />

l’attraction, permettraient mal de com prendre le phénomène de la vie. Il f<strong>au</strong>t<br />

donc supposer « quelque principe d’intelligence, quelque chose de semblable<br />

à ce que nous appelons désir, aversion, mémoire... ». Ne nous y trompons<br />

pas : ce qui apparaît ici, c’est la monade. Aussi <strong>La</strong> Mettrie est -il fort en<br />

colère : les leibniziens avec leurs mona<strong>des</strong> ont plutôt spiritualisé la matière<br />

que matérialisé l’âme ; tout le monde connaît ces mona<strong>des</strong>, depuis la brillante<br />

acquisition que les leibniziens ont faite de Mme du Châtelet ; cette secte<br />

s’accroît tous les jours, et il f<strong>au</strong>dra bientôt qu’un nouve<strong>au</strong> Descartes vienne<br />

purger la métaphysique <strong>des</strong> termes obscurs dont l’esprit se repaît trop souvent.<br />

Spinoza.<br />

<strong>Les</strong> mêmes gestes de dégoût, les mêmes cris d’opprobre, la même<br />

répulsion qui avaient accueilli le récit de sa vie, qui avaient suivi la première<br />

prise de contact avec le Tractatus theologico-politicus, avec l’ Éthique. <strong>Les</strong><br />

mêmes injures contre cet athée, ce criminel, ce chien crevé. <strong>Les</strong> mêmes<br />

dédains pour cette théorie d’une substance infinie qu’on ne pouvait que<br />

mépriser et abhorrer, pour ce système qui soustrait un infini d’un infini et<br />

aboutit à zéro, le plus absurde qui ait jamais été pensé depuis que la<br />

philosophie pense. <strong>La</strong> même façon de se défendre du moindre soupçon de<br />

spinozisme comme d’une maladie honteuse.<br />

Ce n’étaient pas seulement les chrétiens, catholiques et protestants, qui<br />

redoutaient cette peste : la plupart <strong>des</strong> philosophes, se contentant de suivre<br />

Bayle, se détournaient de Spinoza. Ni Bolingbroke, ni Wolff, n’essayaient de<br />

franchir la barrière d’incompréhension. Pour Condillac, Spinoza n’avait nulle<br />

idée <strong>des</strong> choses qu’il avançait ; ses définitions étaient vagues et ses axiomes<br />

peu exacts ; ses proportions étaient l’ouvrage de sa fantaisie, et ne<br />

renfermaient rien qui fût capable de conduire à la connaissance <strong>des</strong> choses.<br />

Ceci dit, il s’arrêtait : « J’eusse été <strong>au</strong>ssi peu raisonnable d’attaquer p.301 les<br />

fantômes qui en naissent, que l’étaient les chevaliers errants qui combattaient<br />

les spectres et les enchanteurs. » Comment un baron d’Holbach <strong>au</strong>rait -il<br />

mieux compris ? « Il y a tout lieu de croire que sans les persécutions et les<br />

m<strong>au</strong>vais traitements du chef de la synagogue, Spinoza n’eût peut -être jamais<br />

imaginé son système. » On voulait bien admettre, à la rigueur, qu’il n’avait<br />

pas été l’hypocrite qui couvrait merveil leusement bien l’impiété de ses<br />

dogmes par l’<strong>au</strong>stérité de ses moeurs et par l’éclat trompeur d’une f<strong>au</strong>sse<br />

vertu ; qu’<strong>au</strong> contraire, sa vie était pure. Mais sa philosophie encourait un<br />

reproche dont il était impossible de le laver : elle n’était pas claire, et donc<br />

elle n’était pas vraie. Elle était inintelligible et c’était fort heureux :<br />

intelligible, elle <strong>au</strong>rait fait <strong>des</strong> prosélytes ; confuse elle restait dans l’obscurité.

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