La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 85<br />
saint moine qui, s’appelait Sérapion. Celui -ci était très <strong>au</strong>stère et de conduite<br />
irréprochable, mais il avait l’hab itude de se figurer Dieu à la ressemblance <strong>des</strong><br />
mortels. Photin parla si bien <strong>au</strong> vieux Sérapion qu’il le détrompa de son<br />
erreur, puis il continua son voyage. Mais à partir de ce moment Sérapion,<br />
lorsqu’il voulait prier, entrait dans un grand désespoir : « Hélas ! que je suis<br />
misérable, ils m’ont enlevé mon Dieu ! Je ne sais plus maintenant à qui je dois<br />
m’attacher, ou qui je dois adorer, ou à qui je puis m’adres ser 1... » Pour le<br />
p<strong>au</strong>vre Sérapion, pour ses regrets et pour ses p.120 larmes, les déistes n’<strong>au</strong>ra ient<br />
pas eu l’ombre d’une indulgence ; seulement du dédain.<br />
Ils espéraient que cette permanence de Dieu, préservée, leur assurerait une<br />
catholicité plus vaste que celle que le catholicisme lui-même eût jamais<br />
atteinte. Car d’après eux, la reli gion du Christ n’ayant commencé qu’à une<br />
date relativement proche, et ne s’étant promulguée qu’à une minorité <strong>des</strong><br />
habitants de la terre, était doublement bornée ; tandis que le déisme recrutait<br />
ses adhérents dans l’immensité du temps et de l’espace. Nous professons que<br />
notre religion est <strong>au</strong>ssi ancienne que le monde, qu’elle est celle d’Adam, de<br />
Seth, et de Noé ; ce Li, ce Changti, ce Tien, qu’adoraient les Sères ; ce<br />
Birmah, père de Brama, qu’adoraient les peuples du Gange ; ce Grand Être<br />
nommé Oromase chez les anciens Perses, le Démiourgos que Platon célébra<br />
chez les Grecs, le Jupiter très bon et très grand <strong>des</strong> Romains, lorsque dans le<br />
Sénat ceux-ci dictaient <strong>des</strong> lois <strong>au</strong>x trois quarts de la terre alors connue, sont<br />
<strong>des</strong> figurations diverses d’un même Dieu, de l’Être S uprême 2. Que si même il<br />
y avait <strong>des</strong> habitants dans les étoiles de la Voie lactée, ceux-là <strong>au</strong>ssi seraient<br />
déistes. « Je méditais cette nuit ; j’étais absorbé dans la contemplation de la<br />
nature ; j’admirais l’immensité, le cours, les rapports de ces globes infinis que<br />
le vulgaire ne sait pas admirer ; j’admirais encore plus l’intelligence qui pré -<br />
side à ces vastes ressorts. Je me disais : il f<strong>au</strong>t être aveugle pour n’être pas<br />
ébloui de ce spectacle ; il f<strong>au</strong>t être stupide pour n’en pas reconnaître l’<strong>au</strong>teur ;<br />
il f<strong>au</strong>t être fou pour ne pas l’adorer. Quel tribut d’adoration dois -je lui<br />
rendre ? Ce tribut ne doit-il pas être le même dans toute l’étendue ? Un être<br />
pensant qui habite dans une étoile de la Voie lactée ne lui doit-il pas le même<br />
hommage dans toute l’éte ndue ? <strong>La</strong> lumière est uniforme pour l’astre de Sirius<br />
et pour nous 3... »<br />
Plus personne ne sera exclu ; plus personne ne sera condamné : toute<br />
créature humaine participe à cette religion universelle. <strong>Les</strong> Américains y ont<br />
participé, tout perdus qu’ils fusse nt dans leur continent non repéré ; les païens<br />
y ont participé, tous les païens de bonne volonté qui ont vécu avant la<br />
révélation chrétienne.<br />
p.121 Quelles furent, à côté du déisme, les forces de l’athéisme ? Comptons<br />
d’abord, parmi ses partisans, certain s héritiers de la tradition libertine. Par<br />
1 Jean Brémond, <strong>Les</strong> Pères du désert, 1927. Tome II, pp. 524-526.<br />
2 Voltaire, <strong>Les</strong> Adorateurs ou les louanges de Dieu, 1769.<br />
3 Id., Questions sur l’Encyclopédie, article Religion, 1771.