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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 84<br />

d’un monde qui n’<strong>au</strong>rait été conçu par personne, qui fonctionnerait <strong>au</strong> hasard,<br />

et qui ne se dirigerait vers <strong>au</strong>cun but : <strong>au</strong>tant dire que <strong>des</strong> êtres raisonnables<br />

<strong>au</strong>raient été créés sans l’intervention de la raison. Pré férons, en bonne logique,<br />

le difficile à l’absurde, et admettons les c<strong>au</strong>ses finales, pis -aller qui satisfait<br />

encore.<br />

Le déisme procédait à une manière d’épuration. Si nous retranchons tout<br />

ce qui nous paraît superstitieux dans l’Église romaine, puis dans l’Église<br />

réformée, puis dans toute Église et dans toute secte, à la fin de ces<br />

soustractions, restera Dieu. Un Dieu inconnu, un Dieu inconnaissable ; <strong>au</strong>ssi<br />

ne lui a-t-on guère conservé que l’Être ; parmi tous les qualificatifs possibles,<br />

on ne lui a donné que le plus vague et le plus honorable et on l’a appelé l’Être<br />

suprême.<br />

A quoi bon <strong>des</strong> sacrements ? <strong>des</strong> rites ? <strong>des</strong> églises, <strong>des</strong> temples, <strong>des</strong><br />

mosquées ? L’île de la raison sera <strong>au</strong>trement bel le, sans dômes et sans<br />

clochers. Pourquoi <strong>des</strong> prêtres ou <strong>des</strong> pasteurs ? Dieu ne peut être honoré que<br />

par le culte intérieur qui réside dans l’âme. Reconnaître, en général, un<br />

premier Être ; élever de temps en temps son coeur vers lui ; s’abstenir <strong>des</strong><br />

actions qui déshonorent dans le climat que l’on habite, et remplir certains<br />

devoirs par rapport à la société, voilà l’unique nécessaire, tout le reste est<br />

accidentel. Dans ces devoirs n’entrent pas les pieux exercices qui détournaient<br />

les p.119 fidèles de l’ado ration véritable. Occupés à entendre le sermon, ils<br />

négligeaient de secourir leur prochain. Orgon avait pour compagnie unique sa<br />

fille Philothée. Il tomba en syncope : sa fille lui fit respirer de l’e<strong>au</strong> <strong>des</strong><br />

Carmes, qui ne le soulagea point. Cependant l’heu re de l’office pressait ;<br />

Philothée recommande son père à Dieu et à sa servante, prend sa coiffe et ses<br />

heures, et court <strong>au</strong>x Grands-Augustins : l’office fut long, c’était un salut de<br />

confrérie. Orgon meurt sans secours... Mais Philothée avait cru que le son <strong>des</strong><br />

cloches était la voix de Dieu qui l’appelait, et que c’était faire une action<br />

héroïque que de préférer le commandement du ciel <strong>au</strong> cri du sang ; <strong>au</strong>ssi, de<br />

retour, fit-elle généreusement à Dieu le sacrifice de la vie de son père, et crut<br />

sa dévotion d’<strong>au</strong>tant plus méritoire qu’elle lui avait coûté davantage...<br />

Toussaint le déiste, qui raconte cette histoire 1, pense que rien n’empêchera les<br />

hommes de se livrer à la vertu, quand Philothée <strong>au</strong>ra cessé de se signer.<br />

Renonciation <strong>au</strong>x images du Fils sur sa croix, <strong>des</strong> assemblées <strong>des</strong> anges,<br />

<strong>des</strong> visages transfigurés <strong>des</strong> saints ; abandon <strong>des</strong> traditions qui ramenaient les<br />

fidèles <strong>au</strong>tour de la crèche, quand venait Noël, qui leur faisaient chanter<br />

l’Alleluia <strong>au</strong> jour de Pâques ; les enfants même n’<strong>au</strong>ront plus le droit de prêter<br />

à Dieu un corps, <strong>des</strong> bras pour attirer et <strong>des</strong> mains pour bénir : si nous ne<br />

voulons pas faire d’eux <strong>des</strong> idolâtres, il importera d’interdire <strong>au</strong>x maîtres<br />

élémentaires toute allusion, toute expression qui tendrait à laisser croire à<br />

leurs élèves que l’Être se peut représenter. On raconte que le diacre Photin,<br />

savant homme, rendant un jour visite <strong>au</strong>x Pères du désert, trouva parmi eux un<br />

1 Toussaint, <strong>Les</strong> Moeurs, 1748, Discours préliminaire sur la vertu.

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