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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 296<br />

inféodés, hommages, fiefs, emphythéotes, domaines directs, et l’omnino de<br />

juridiction h<strong>au</strong>te, moyenne, et basse, avec le dernier supplice » — ce dont il<br />

n’était pas peu fier — mais il était fier, surtout, de se sentir l’un <strong>des</strong> Princes de<br />

l’Europe. Il n’écrivait pas une lettre qui ne passât de main en main, pas une<br />

page qui n’agît sur les esprits, pas un livre qui ne devînt célèbre. Il se vantait<br />

d’avoir brelan de rois dans son jeu, sûr de gagner sa partie contre le temps ;<br />

quiconque voyageait, se faisait devoir de venir lui rendre hommage ; les pères<br />

lui amenaient leurs enfants pour que ceux-ci pussent raconter un jour qu’ils<br />

avaient eu l’honneur de contempler le grand homme ; si quelqu’un manquait<br />

<strong>au</strong> pèlerinage, si le comte de Falkenstein, dont ce nom ne cachait rien de<br />

moins que le futur Empereur, Joseph II, passait en brûlant l’étape, il s’en<br />

irritait comme d’une irrévérence. Qui fut plus certain, jamais, d’être<br />

immortel ?<br />

Seulement, un phénomène de cristallisation s’opérait dans son esprit. On a<br />

justement remarqué 1 qu’<strong>au</strong>x alentours de 1760, il avait procédé à un examen<br />

de conscience, dont le résultat avait été non pas qu’il avait changé, mais qu’il<br />

s’était durci. Il se fermait, il se concentrait. L’appel <strong>au</strong> sentiment que<br />

Richardson avait lancé, il refusait de l’entendre. <strong>La</strong> transfor mation de la<br />

mentalité anglaise, dont il avait été l’initiateur , trente ans plus tôt, il ne la<br />

suivait plus ; du mouvement Wesleyen il n’a tenu <strong>au</strong>cun compte. Shakespeare<br />

même cessait d’être un barbare de génie pour n’être plus qu’un barbare.<br />

Dante, qu’il avait tenu pour composé de matéri<strong>au</strong>x grossiers où brillaient<br />

cependant de l’or et <strong>des</strong> diamants, n’était plus qu’une manière de fou. <strong>Les</strong><br />

Italiens contemporains lui semblaient se réduire à quelques écrivains de<br />

mérite qui avaient le bon goût de penser comme lui, Bettinelli, par exemple ;<br />

et à quelques critiques imbéciles qui avaient le tort de le critiquer, comme<br />

Baretti, qui lui reprochait sa volte-face <strong>au</strong> sujet de Shakespeare. De l’effort de<br />

l’Italie, qui cherchait la voie p.401 qui devait la conduire <strong>au</strong>x résurrections, il<br />

n’avait <strong>au</strong>cun souci. L’éveil de la littératu re allemande lui demeurait<br />

insoupçonné.<br />

En même temps, son opposition <strong>au</strong> christianisme s’accen tuait,<br />

s’exaspérait, devenait idée fixe. Cet esprit si charmant, si fin, si sobre, était<br />

violence et démesure dès qu’il s’agissait d’écraser l’infâme, comme il disait.<br />

Soit que le triomphe définitif de sa c<strong>au</strong>se, qu’il espérait proche, l’ait enhardi et<br />

excité ; soit que l’ait irrité la résistance obstinée qu’il percevait encore ; soit<br />

que cette résistance fût plus profonde, <strong>au</strong> fond de lui-même et contre<br />

lui-même, de sorte qu’ayant déclaré tous les soirs que l’ennemi était vaincu<br />

sans recours, tous les matins il ait éprouvé le besoin de recommencer le<br />

combat, pour le vaincre : il a porté jusqu’à la fureur l’hostilité qui était en lui<br />

dans sa jeunesse et qui, maintenant, devenait manie. De la fabrique de Ferney,<br />

1 Norman L. Torrey, Voltaire and the English Deists, 1938.

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