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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 261<br />

Muses, parce que le grec est chez eux plus rare que l’or ; ce jeune homme qui,<br />

ayant appris qu’on met en vente la bibliothèque du savant Fabricius, à<br />

Hambourg, prend la route, <strong>au</strong> besoin sans manger, pour assister <strong>au</strong>x enchères<br />

et acheter quelque ouvrage grec ; cet instituteur qui enseigne la lecture à <strong>des</strong><br />

enfants galeux, mais oublie ses peines en faisant sa prière dans Homère ; ce<br />

bibliothécaire qui n’a qu’une passion, compléter sa connais sance de<br />

l’antiquité, et qui relit l’Iliade et l’Odyssée trois fois dans un hiver ; ce<br />

luthérien qui se fait catholique, parce qu’il a la perspective de remplir un petit<br />

emploi à Rome ; ce Brandebourgeois qui estime qu’il ne commence à vivre<br />

que du jour où il foule le sol latin, Italiam, Italiam : ce Johann Joachim<br />

Winckelmann est poussé vers l’antiquité classique comme par un mouvement<br />

fatal. Or ce n’est pas uniquement cette vocation qui est surprenante : c’est la<br />

façon dont il va vers le plus parfait de la be<strong>au</strong>té grecque. Il rejette d’un seul<br />

coup tout le baroque, et même l’hellénisme de pacotille qui plaisait à ses<br />

contemporains ; et contemplant les nobles statues du <strong>siècle</strong> de Périclès, il<br />

s’écrie : Voilà la vraie Be<strong>au</strong>té ; reconnaissez sa présence à son caractère de<br />

simplicité. De même que les profondeurs de la mer restent calmes, la surface<br />

fût-elle en furie ; de même, la physionomie de ces statues, <strong>au</strong> milieu <strong>des</strong><br />

passions, traduit toujours une âme inébranlée. Rien ne trouble leur harmonie<br />

paisible.<br />

<strong>La</strong> découverte <strong>des</strong> antiquités d’Herculanum a exercé, certes, une grande<br />

influence sur les esprits : mais elle ne s’est faite que lentement ; on n’a pas été<br />

mis d’un seul coup devant le décor de la vie passée ; bronzes et marbres ont<br />

été exhumés pièce par pièce ; la résurrection s’est prolongée sur un long<br />

espace de temps. Au contraire, les Gedanken über die Nachahmung der<br />

griechischen Werke in der Malerei und Bildh<strong>au</strong>er Kunst (1755), et la<br />

Geschichte der Kunst <strong>des</strong> Alterthums (1764) ont été comme de brusques<br />

illuminations. Non seulement la Grèce apparut, toute pure dans sa nudité :<br />

mais toute la conception de l’art fut modifiée. L’art participait à l’évolution<br />

générale <strong>des</strong> créatures ; il naissait, vieillissait, mourait comme un p.355 homme<br />

et comme une plante ; pour le bien comprendre, il fallait le suivre dans son<br />

effort progressif ; aimer ses premiers témoignages pour leur g<strong>au</strong>cherie même ;<br />

aimer les fruits de son <strong>au</strong>tomne, mais avec la mélancolie qui s’attache <strong>au</strong>x<br />

décadences ; et entre les débuts incertains et les fins attristantes, aimer<br />

pleinement, avec reconnaissance, les chefs-d’oeuvre qui ont retenu sur la terre<br />

l’image de la perfection. L’art n’était plus l’inexplicable produit d’une recette<br />

bien appliquée ; on le voyait germer, s’épanouir et se faner ; il était un<br />

phénomène vital.<br />

Chose curieuse à penser : bien avant que le sentiment ne se déchaînât <strong>au</strong><br />

point de rompre l’équilibre de nos facultés, de répudier les disciplines<br />

rationnelles, de transformer la vie en lyrisme ; bien avant que ne parussent sur<br />

la scène les héros passionnés dont nous avons rappelé les noms ; dès 1690,<br />

dès l’ Essay concerning Human Understanding, l’homme de désir avait eu sa

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