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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 303<br />

poesis ; pour bouleverser les idées reçues sur une foule de sujets d’esthétique,<br />

il ne fallait pas moins que la vigueur, la combativité, l’opiniâtreté du même<br />

lutteur. Celui-ci continuait, en effet, à renverser les idoles. <strong>La</strong> poésie, plus<br />

souple que les <strong>au</strong>tres arts, pouvait reproduire la laideur, s’en servant comme<br />

d’un ingrédient : dans le ridicule, laideur impuissante ; et dans le terrible,<br />

laideur cruelle. <strong>La</strong> poésie, plus riche que les <strong>au</strong>tres arts, n’avait pas besoin<br />

d’attributs mythologi ques, les balances de la justice, la colonne sur laquelle la<br />

Fermeté s’appuie, le frein de la Modération : elle n’était pas à ce point dénuée<br />

d’expression. <strong>La</strong> poésie n’était pas réduite à en revenir toujours à <strong>des</strong> types<br />

universellement connus, Vénus, Mars ou Jupiter ; l’invention proprement dite<br />

avait peu d’importance pour l’artiste, un sujet banal le favorisait plutôt qu’il<br />

ne le gênait ; pour le poète, <strong>au</strong> contraire, l’invention avait plus d’importance<br />

que l’exécution. Chemin faisant, <strong>Les</strong>sing réhabilitait Shakespeare, infirmait<br />

les règles, dénonçait le dogmatisme, établissait les droits de la spontanéité,<br />

demandait pour les vivants la permission de n’être pas sem blables <strong>au</strong>x morts,<br />

même illustres. Mais le travail qu’il accom plissait par-<strong>des</strong>sus tout était la<br />

libération de la poésie. Il n’est pas de l’essence de la poésie d’ être didactique.<br />

Il n’est pas de p.410 l’essence de la poésie d’être minutieusement <strong>des</strong>criptive.<br />

Haller, dans son poème Die Alpen, a tellement décrit que l’imagination du<br />

lecteur n’a plus à s’exercer ; l’Arioste, <strong>au</strong> lieu de disperser dans plusieurs<br />

stances les traits du portrait d’Alcine, <strong>au</strong>rait dû nous indiquer seulement<br />

quelques touches qui nous <strong>au</strong>raient laissé la liberté du rêve. Il y avait, dans la<br />

poésie, ce qu’elle disait ; et <strong>au</strong>ssi un élément plus puissant : ce qu’elle ne<br />

disait pas, ce qu’elle suggé rait ; la vraie poésie était l’ineffable. C’est ainsi<br />

qu’il était toujours prêt à affirmer sa maîtrise. Mais rien ne lui tenait plus à<br />

coeur que la solution du problème religieux, dont tout dépendait.<br />

En lui survivait l’âme du pasteur son père et <strong>des</strong> <strong>au</strong>tr es pasteurs ses<br />

ancêtres : <strong>des</strong> croyants, <strong>des</strong> apôtres, qui ne s’étaient pas contentés de remplir<br />

machinalement leurs fonctions, d’administrer la communion de leurs ouailles<br />

et de débiter <strong>des</strong> sermons dans leurs temples, mais qui avaient fait de la<br />

croyance l’aliment unique de leur vie spirituelle, défenseurs de la foi, enfants<br />

de Dieu. D’un tel héritage on ne se débarrasse pas à sa guise ; même le jour où<br />

l’on sort de l’orthodoxie, on le garde et on l’aime. <strong>La</strong> religion est chose<br />

grave ; et celui qui la raille n’est jamais qu’un petit esprit : sur cette<br />

affirmation, <strong>Les</strong>sing n’a pas varié ; la religion ne souffre pas de plaisanteries ;<br />

elle est une forme de la vérité, et la vérité ne ricane pas ; certes, il a pensé que<br />

c’était un devoir de la débarrasser <strong>des</strong> imp uretés qui s’étaient glissées en elle ;<br />

<strong>au</strong>ssi a-t-il fait partie du choeur qui a dénoncé la superstition ; a-t-il lancé son<br />

mot contre les Croisa<strong>des</strong>, dont il a dit qu’elles étaient le chef -d’oeuvre de la<br />

politique pontificale, et qu’elles avaient abouti a ux plus atroces persécutions<br />

dont le fanatisme se soit jamais rendu coupable ; a-t-il déclaré qu’il vivait à<br />

une époque où la voix de la saine raison retentissait trop h<strong>au</strong>t pour que tout<br />

furieux qui, sans nécessité et <strong>au</strong> mépris de ses devoirs civils, se jetait de gaieté

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