La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 171<br />
dit qu’il y avait, chez tel ou t el <strong>au</strong>teur, deux hommes, l’un guindé et<br />
emphatique, l’<strong>au</strong>tre tout sourire et toute facilité ; deux Gresset, par exemple,<br />
l’un qui composait son Ode sur l’ Ingratitude :<br />
Quelle Furie <strong>au</strong> teint livide<br />
Souffle en ces lieux un noir venin ?<br />
Sa main tient ce fer parricide<br />
Qui d’Agrippine ouvrit le sein ;<br />
L’Insensible oubli, l’Insolence,<br />
<strong>Les</strong> sour<strong>des</strong> haines, en silence,<br />
Entourent ce monstre effronté,<br />
Et tour à tour leur main barbare<br />
Va remplir sa coupe <strong>au</strong> Tartare<br />
Des froi<strong>des</strong> on<strong>des</strong> du Léthé.<br />
et le Gresset qui composait Ver-Vert ou la Chartreuse<br />
Vainqueur du chagrin léthargique,<br />
Par un heureux tour de penser,<br />
Je sais me faire un jeu comique<br />
Des peines que je vais tracer.<br />
Ainsi l’aimable poésie<br />
Qui dans le reste de la vie<br />
Porte assez peu d’utilité,<br />
De l’ob jet le moins agréable<br />
Vient adoucir l’<strong>au</strong>stérité<br />
Et nous s<strong>au</strong>ve <strong>au</strong> moins par la fable<br />
Des ennuis de la vérité.<br />
<strong>Les</strong> génies eux-mêmes suivaient la mode ; il y avait deux Montesquieu,<br />
dont l’un écrivait l’ Esprit <strong>des</strong> lois, et dont l’<strong>au</strong>tre faisait de l’esprit sur les lois.<br />
p.233 On assistait à <strong>des</strong> spectacles paradox<strong>au</strong>x. L’Allemagne morcelée<br />
prenait conscience d’elle -même ; elle voulait avoir une littérature, à l’égal <strong>des</strong><br />
<strong>au</strong>tres nations ; et de l’Université de Halle, une <strong>des</strong> citadelles de sa <strong>pensée</strong>,<br />
sortaient trois étudiants amis, Johann Ludwig Wilhelm Gleim, Johann Peter<br />
Uz, Johann Nikol<strong>au</strong>s Götz, qui furent les fondateurs du lyrisme. Et quel<br />
lyrisme ? Celui d’Anacréon. Anacréon était leur maître ; ils chantaient<br />
Bacchus barbouillé de lie, le vin et les festins, les belles et l’amour. — Carl<br />
Wilhelm Ramler était l’incarnation du classicisme rationalisant. Quel était son<br />
modèle ? Horace ; rien ne lui c<strong>au</strong>sait un plaisir plus sensible que d’être appelé<br />
l’Horace allemand. — Plus surprenant encore est le cas de Friedrich von<br />
Hagedorn. Celui-ci conduit le classicisme jusqu’à ses plus h<strong>au</strong>tes possibilités ;<br />
il travaille à épurer la langue et le style ; pour lui, la création poétique n’est<br />
pas l’effort de l’âme qui se révèle à l’univers, ou qui capte l’univers pour<br />
l’enferm er en elle, mais le rapport raisonnable <strong>des</strong> parties à l’ensemble. Il se<br />
met à l’école de la France, puis à celle de l’Angleterre, et sait profiter de cette<br />
double leçon, car il acquiert le sens du clair, du simple et de l’intelligible.