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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 215<br />

mais seulement un chaos de sensations. Il n’y a plus de jugements, mais<br />

seulement <strong>des</strong> impressions qui nous semblent plus vives, et que pour cela<br />

nous préférons à d’<strong>au</strong>tres. Il n’y a plus de moi, mais seulement un<br />

papillotement de présences inexplicables. Ne parlons plus d’un univers réglé<br />

par une sagesse dont le reflet devient notre sagesse : parlons seulement d’une<br />

poussière de phénomènes...<br />

Le célèbre Monsieur Hume était un sceptique absolu. Entré dans la partie,<br />

jouant le jeu, suivant les règles, il finissait par une ruine totale ; et c’étaient<br />

ses partenaires qui perdaient le plus. Pourtant il n’était pas triste, pas même<br />

désappointé ; <strong>au</strong>cune trace d’amertume . Ses raisonnements — si ce mot<br />

gardait quelque sens — semblaient ingénus ; à peine distinguait-on, dans son<br />

air innocent, quelque malice ; peu à peu on était entraîné vers les abîmes, sans<br />

trop voir qu’il était joyeux d’y conduire doucement. Dans la prati que il<br />

s’arrêtait à temps pour ne point faire révolution, pour ne pas laisser s’écrouler<br />

sur lui les dernières colonnes du temple ; il conseillait une certaine sagesse<br />

modérée dont il donnait l’exemple. Était -ce prudence ? Il savait qu’il était<br />

dangereux de fouiller dans les cloaques qui répandent l’infection <strong>au</strong>tour<br />

d’eux, de tirer la peste <strong>des</strong> souterrains où elle est enfermée ; il professait que<br />

les vérités pernicieuses à la société, s’il en est de telles, doivent céder à <strong>des</strong><br />

erreurs bonnes et salutaires <strong>au</strong>trement, les hommes vous persécutent ; et s’ils<br />

ne peuvent vous réfuter, ils s’accordent à vous ensevelir dans un oubli éternel.<br />

Peut-être était-ce mépris ; peut-être son scepticisme allait-il jusqu’à ne pas lui<br />

demeurer fidèle, l’illusion dont se bercent les hommes n’ayant pas tellement<br />

d’importance qu’on ne pût se résoudre à y participer.<br />

Peu importaient les contradicteurs, les dissidents, les dissolvants ; ils ne<br />

pouvaient rien, semblait-il, contre la persuasion inébranlable que la vérité,<br />

dégagée par la raison, possédait une valeur transcendantale. A l’évidence<br />

revenait ce privilège, qu’elle n’avait besoin ni de l’<strong>au</strong>torité <strong>des</strong> Anciens, ni de<br />

celle <strong>des</strong> Modernes, pour éclater : elle entraînait chez tous les p.293 individus<br />

une conviction intérieure qui était le plus h<strong>au</strong>t degré de la certitude. Elle<br />

obligeait ; qui l’apercevait devenait incapable de la nier : de même qu’il ne<br />

dépend pas de nous de dire qu’il fait nuit quand il fait jour, de même nous ne<br />

pouvons nous soustraire à sa force. A l’égard <strong>des</strong> ch oses évidentes notre<br />

liberté ne s’exerçait plus : nous n’avions qu’à leur céder, et à leur donner<br />

notre plein consentement. Or cette idée, si parfaitement incompatible avec<br />

l’empirisme, et pourtant si familière <strong>au</strong>x empiriques, d’où venait -elle, sinon<br />

de Descartes ?<br />

Nous avons dit que Locke était l’animateur du <strong>siècle</strong>, et nous n’en<br />

disconvenons pas ; que son influence s’était exercée sur toutes les activités de<br />

l’esprit, et nous le répétons ferme ment. Nous reconnaissons que, dans bien <strong>des</strong><br />

cas, Descartes est représenté comme un esclave attaché <strong>au</strong> char du vainqueur.<br />

De nombreux textes affirment la déchéance du vaincu : suivant la loi <strong>des</strong>

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