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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 297<br />

plus redoutable <strong>au</strong>x croyants que celles d’Amsterdam, de Londres, de Paris,<br />

de Berlin, partaient inlassablement <strong>des</strong> pamphlets où paraissaient à la fois le<br />

génie de l’artiste et le zèle du sectaire. Sa négation, il l’exprimait non pas dix<br />

fois, non pas cent, mais sous mille formes différentes : de sorte que<br />

l’obsession, caractère général du <strong>siècle</strong>, devenait chez lui une manière d’être :<br />

il ne voulait pas, il ne pouvait plus se dégager d’elle. <strong>La</strong> Bible était sans<br />

grandeur et sans be<strong>au</strong>té ; l’Évangile n’avait apporté que malheur sur la terre ;<br />

l’Église, tout entière et sans exception, était corrup tion ou folie ; pas un seul<br />

confesseur de la foi qui n’eût été un fanatique ; les plus purs, les plus nobles<br />

étaient traînés dans la boue ; saint François d’Assise lui -même était dépossédé<br />

de sa douce <strong>au</strong>réole, et devenait un p<strong>au</strong>vre fou. Simplification caricaturale ;<br />

volonté de ne jamais entrer dans les raisons de l’adversaire, à passer sous<br />

silence ou à défigurer ; inlassable répétition : tels étaient quelques-uns de ses<br />

procédés. Quand on lit l’un ou l’<strong>au</strong>tre <strong>des</strong> sermons, <strong>des</strong> catéchismes, <strong>des</strong> dis -<br />

cours, <strong>des</strong> dialogues, <strong>des</strong> contes, qu’il jetait à pleines mains de par le monde,<br />

on admire une manière qui semble toujours plus aisée, un pittoresque toujours<br />

plus piquant, un style toujours plus voisin du naturel ; quand on en lit dix ou<br />

vingt, on perçoit le mécanisme du propagandiste. Il est l’initiateur de cette<br />

manière basse, indigne de lui, qui consiste à dire qu’il ne f<strong>au</strong>t pas c roire, parce<br />

qu’il est rapporté dans les Livres Saints p.402 que le démon transporta le Christ<br />

sur une montagne d’où il lui fit voir tous les roy<strong>au</strong>mes de la terre, alors qu’il<br />

est impossible de voir tous les roy<strong>au</strong>mes de la terre du h<strong>au</strong>t d’une mon tagne ;<br />

ou encore parce que l’Église demande <strong>au</strong>x fidèles de faire maigre le vendredi.<br />

Au besoin il allait jusqu’à l’ignoble, ce dont il serait facile de donner <strong>des</strong><br />

exemples, s’ils n’étaient salissants. Infidèle, en se dégradant ainsi, à la<br />

mémoire de son maître Bayle, qui ne s’était pas montré moins hostile à la tra -<br />

dition, à l’<strong>au</strong>torité, à la foi, mais qui était toujours resté dans le grand.<br />

« Combien a-t-il fait de personnages différents pour nous instruire ? »<br />

disait Mably. « Ne paraissant presque jamais sous son nom, tantôt c’est un<br />

théologien, un philosophe, un Chinois, un <strong>au</strong>mônier du roi de Prusse, un<br />

Indien, un athée, un déiste ; que n’est -il pas ? Il écrit pour tous les esprits, et<br />

même pour ceux qui sont plus touchés d’une plaisanterie ou d’un quolibet que<br />

d’une raison 1. » Le fait est que telle était son arme favorite, l’ironie ; qu’il la<br />

maniait de telle manière que personne ne l’égalait, que personne peut -être ne<br />

l’égalera ; qu’il s’en servait, à grande raison, pour combattre les exagéra tions ;<br />

qu’il fi nissait par s’en servir indistinctement contre tous objets, et non<br />

seulement contre les idoles, mais contre les valeurs dont la disparition avilit et<br />

app<strong>au</strong>vrit l’humanité, les élans, les ferveurs. Il léguait cette ironie à une race<br />

malhabile et grossière, qui prendrait l’habitude de rire devant ce qu’elle ne<br />

comprendrait pas.<br />

Il prenait une apparence surhumaine ; il était — c’est Dide rot qui<br />

l’appelait ainsi — l’Antéchrist. Mais à ce point, une partie de l’Europe ne le<br />

1 Du développement, <strong>des</strong> progrès et <strong>des</strong> bornes de la raison. OEuvres, t. XV.

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