La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 131<br />
seront réglés ses besoins, conformément <strong>au</strong>x lois distributives... » Alors c’en<br />
sera fait du géant monstrueux <strong>au</strong>quel la terre a dressé partout <strong>des</strong> <strong>au</strong>tels ; ses<br />
pieds semblent <strong>des</strong>cendre dans l’ombre du néant, et s’appuient sur un tas<br />
d’ossements et de cadavres ; il a mille têtes et une multitude de bras, dont les<br />
mains sont remplies les unes de vases fragiles, pleins de sables ou de vapeurs,<br />
et les <strong>au</strong>tres de sceptres et de couronnes ; sur sa poitrine est écrit ce mot<br />
plusieurs fois répété : Encore 1. Il mourra, ce géant infâme, car l’huma nité,<br />
revenant à la nature, comprendra qu’il n’y a qu’une seule loi : la sociabilité ;<br />
un seul vice, la cupidité ; une seule institution néfaste, la propriété.<br />
Il est encore vrai qu’un peu plus tard, en 1776, dans son traité de la<br />
Législation, Mably conseille d’en venir à « cette heureuse commun<strong>au</strong>té <strong>des</strong><br />
biens » qui remédiera, <strong>au</strong>x m<strong>au</strong>x, sortis de la boîte de Pandore. L’égalité doit<br />
être la base de la vie privée comme de la vie sociale. Or elle cesse de<br />
subsister, dès que la propriété s’affirme : « Je ne balance point à regarder p.180<br />
cette malheureuse propriété comme la première c<strong>au</strong>se de l’inégalité <strong>des</strong><br />
fortunes et <strong>des</strong> conditions, et par conséquent de tous les m<strong>au</strong>x. » —<br />
« Savez-vous quelle est la principale source de tous les malheurs qui affligent<br />
l’humanité ? C’est la propriété. »<br />
Il est vrai qu’en Angleterre <strong>au</strong>ssi, quelques velléités de même espèce se<br />
sont produites. En 1775, un agité du nom de Thomas Spence, bouquiniste de<br />
son état, lut à la Philosophical Society une communication intitulée : The Real<br />
Rights of Man, les véritables droits de l’homme : début d’une carrière<br />
aventureuse de révolutionnaire, qu’il mena jusqu’en 1814 ; il voulait<br />
réorganiser la société, en faisant de chaque paroisse une manière de cellule<br />
égalitaire. En 1780, un professeur de latin et de grec, humaniste, numismate,<br />
William Ogilvie, a publié An Essay on the Right of Property in <strong>La</strong>nd, Essai<br />
sur le droit de propriété foncière, où il exposait les principes philosophiques<br />
d’une loi agraire qui <strong>au</strong>rait donné à chaque indivi du la possession d’une partie<br />
du sol. Mais à ces exceptions près, qui sont peu nombreuses, qui sont<br />
velléitaires, dont le contenu reste vague, et qui n’évoquent que de très loin le<br />
communisme futur, le XVIII e <strong>siècle</strong> a généralement et fermement affirmé le<br />
caractère légitime que la propriété conservait à ses yeux. Dans l’état de nature,<br />
l’homme est nécessaire à l’homme ; celui-ci a toujours besoin d’associés ;<br />
entre la société et lui se conclut un pacte ; la société lui assure le bonheur, il<br />
assure la permanence de la Société. Cette permanence exige l’inégalité, qui<br />
règne et qui régnera entre les hommes. « Ne réclamons jamais contre cette<br />
inégalité qui fut toujours nécessaire, et qui est la condition même de notre<br />
félicité 2. » Voilà pour la propriété en général ; et voici pour la propriété<br />
foncière en particulier, telle que la conçoivent les physiocrates. Au<br />
commencement, il y avait une société universelle. Mais les hommes<br />
continuant à se multiplier, les productions gratuites et spontanées de la terre<br />
1 N<strong>au</strong>frage <strong>des</strong> îles flottantes, ou Basiliade du célèbre Pilpaï, poème héroique traduit de<br />
l’indien par Mr. M.. 1753. (Attribué à Morelly).<br />
2 D’Holbach, ouvrage cité.