17.08.2013 Views

La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 166<br />

même Arlequin, qui se livre <strong>au</strong>x farces de son emploi, mais qui, dans le temps<br />

qu’il lâche une balourdise, sait montrer qu’il n’en est pas la dupe, et qu’il fait<br />

un grand sacrifice pour avoir l’air d’être benêt. Quand il n’y a plus de doute ni<br />

de subterfuge possible, quand les sentiments sont devenus de l’évidence, le<br />

ride<strong>au</strong> se baisse et la pièce est finie.<br />

<strong>Les</strong> artifices du théâtre, <strong>au</strong> contraire, Goldoni les accepte, les vieux et les<br />

neufs, les bons, les médiocres et les m<strong>au</strong>vais. Auteur qui suit sa troupe<br />

vagabonde, sans laquelle il ne pourrait pas vivre et qui ne pourrait pas vivre<br />

sans lui, sa tâche est lourde : il f<strong>au</strong>t qu’il fournisse comédie après comédie,<br />

seize comédies pour un seul carnaval ; il f<strong>au</strong>t qu’il ait sans cesse la plume à la<br />

main, l’actrice attend son rôle, pour demain, pour ce soir. Il peine et il est<br />

p<strong>au</strong>vre ; chaque soir il risque les sifflets, tant pis si la pièce tombe, une <strong>au</strong>tre<br />

réussira mieux une <strong>au</strong>tre fois. Toutes conditions différentes, la hâte, l’impro -<br />

visation ; non plus la Comédie italienne bien installée sur une p.226 scène de<br />

Paris, non plus le Théâtre français, mais le vieux char de Thespis qui s’en va<br />

de ville en ville ; et pour finir, l’exil et la vieillesse miséreuse... Il n’en est pas<br />

moins de la parenté <strong>des</strong> clairvoyants ; il a reçu du ciel, et de son temps, ce<br />

regard rapide et sûr, qui ne va pas jusqu’<strong>au</strong> tréfonds <strong>des</strong> coeurs, qui n’y<br />

distingue pas les violences capables tout d’un coup d’éclater <strong>au</strong> milieu <strong>des</strong><br />

rires, mais qui dégage et saisit ce qui apparaît en surface ; et c’est encore de<br />

l’humain. Il se promène sur la Piazzetta, bavarde avec un vieux sénateur, entre<br />

dans un café, va faire une visite ; c’en est assez, il enre gistre le trait familier,<br />

le caractère, la manie ; il transporte son acquisition d’un instant dans sa<br />

comédie, la met à sa juste place, lui donne la valeur exacte qui lui convient, la<br />

fait ressortir par <strong>des</strong> procédés élémentaires : jamais le résultat n’est<br />

indifférent ; et souvent naît un chef-d’oeuvre.<br />

Ramon de la Cruz est comme son cousin espagnol ; même finesse et<br />

même simplicité, avec une pointe de satire plus piquante ; dans les grands<br />

table<strong>au</strong>x il réussit mal, dans les petits il excelle ; c’est le maître du género<br />

chico. Il observe les moeurs du menu peuple de Madrid, dans les rues, sur les<br />

places, <strong>au</strong> Marché du Rostro, les jours de fête, les jours qui ressemblent <strong>au</strong>x<br />

<strong>au</strong>tres jours ; et il les peint en disant : « J’écris, et la vente dicte. »<br />

Wieland n’est -il pas le virtuose de l’intelligence ? Il en a trop, il ne<br />

s’attache pas assez, il distingue si clairement le mérite et le déf<strong>au</strong>t de chaque<br />

objet qu’il en devient sceptique. Il prend à tous les grands <strong>au</strong>teurs, sans rien<br />

retenir d’une prise certaine ; il subit toutes les influences, mais dans chacune<br />

de ses prédilections passagères, on trouve un regret pour ce qu’il <strong>au</strong>rait pu<br />

choisir et qu’il n’a pas choisi. Ce n’est pas la cohésion <strong>des</strong> idées qui<br />

l’intéresse, mais leur examen ; dès qu’il connaît la manière dont elles sont<br />

faites, elles n’ont plus d’intérêt, il les laisse tomber. Même son ironie est<br />

légère, elle ne se prend pas tout à fait <strong>au</strong> sérieux : elle supposerait, si elle<br />

devenait colère, l’incompréhension de ce qu’il raille ; or l’incompréhension<br />

serait pour lui un déf<strong>au</strong>t capital, le vice <strong>des</strong> sots. Si ses romans sont<br />

interminables, c’est qu’il est le promeneur qui n’a pas de but, arrivant le plus

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!