La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 202<br />
CHAPITRE I<br />
Le devenir.<br />
p.275 Nous allons assister, maintenant, à un <strong>au</strong>tre spectacle, qui va nous<br />
montrer, à travers les <strong>des</strong>seins cohérents que nous venons d’étudier, les<br />
incohérences qui pour une part les altèrent. Nous avons à voir, en effet,<br />
comment s’est opéré l’un <strong>des</strong> passages qui font de l’histoire <strong>des</strong> idées un<br />
perpétuel changement ; comment une doctrine s’est dissoute, non par<br />
l’intervention d’enne mis extérieurs, mais de l’intérieur même ; comment <strong>des</strong><br />
obscurités sont restées dans la théorie qui paraissait la plus claire, <strong>des</strong><br />
contradictions dans le système qui paraissait le plus logique ; comment une<br />
victoire proclamée n’était pourtant pas acquise ; comment allait échouer, une<br />
fois de plus, un immense effort accompli pour atteindre le bonheur humain.<br />
Étaient-ils sûrs que leurs plans ne comportaient <strong>au</strong>cune f<strong>au</strong>te, ces<br />
constructeurs ? Étaient-ils sûrs, ces philosophes, que leur philosophie avait<br />
enfin trouvé les vérités éternelles ? Étaient-ils sûrs, pour commencer, qu’ils<br />
avaient enserré l’âme dans une définition si parfaite, qu’elle y devait rester<br />
prisonnière, pour toujours ? Ce ne devait pas être l’avis du fils de cordonnier<br />
de Königsberg, qui, avant qu’ils eussent fini d’exposer leur doctrine, la ruinait<br />
à son tour. Emmanuel Kant repensait les théories de Locke, de Berkeley, de<br />
Hume ; il était bien de leur avis, la métaphysique ne pouvait être <strong>au</strong>tre chose<br />
que la science <strong>des</strong> limites de la raison humaine ; seulement, il estimait qu’ils<br />
avaient négligé de déterminer la qualité spécifique et les attributs essentiels de<br />
la force que ces limites encerclaient ; de sorte que tout était encore à faire,<br />
après eux. Commençant par rassembler le plus qu’il pouvait p.276 du savoir<br />
humain, s’initiant <strong>au</strong>x sciences naturelles, à la géométrie, à la mécanique, à<br />
l’astronomie, il finissait par ramener tous les problèmes à un seul, celui qu’on<br />
avait considéré comme résolu, celui qui restait à résoudre : le problème de la<br />
connaissance. Enfin prêt, il publiait en 1781 sa Critique de la raison pure. Du<br />
coup, l’âme cessait d’être la chambre noire dont la fonction se borne à<br />
enregistrer les rayons venus du dehors ; elle était un prisme réfractant les<br />
données d’un univers qui ne devenait nôtre que par cette transformation. <strong>La</strong><br />
sensibilité percevait suivant <strong>des</strong> formes a priori ; l’entende ment liait suivant<br />
<strong>des</strong> catégories a priori ; la connaissance dépendait d’un élément a priori, qui<br />
l’organisait. Nous n’étions plus les esclaves de la loi naturelle ; en morale<br />
comme en psychologie, c’est notre âme qui faisait la loi. Révolution telle, que<br />
toute la philosophie antérieure semblait s’écrouler, et qu’à la fin, on se mit à<br />
dédaigner celui qui avait été le sage Locke, l’admirable Locke, l e seul penseur<br />
qui avait compté depuis Platon. Comment s’est préparé ce changement ? de<br />
quelle manière a commencé la désagrégation de la doctrine empirique qui