La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 76<br />
distinctions et d’interprétations où la plupart n’entendaient rien 1. Le pouvoir<br />
civil a été appelé à intervenir dans les choses de religion, et y est intervenu<br />
avec tant d’arbitraire qu’il y a perdu son crédit. <strong>La</strong> hiérarchie ecclésiastique a<br />
été menacée : pourquoi l’<strong>au</strong>torité du Pape et non pas celle <strong>des</strong> évêques,<br />
successeurs directs <strong>des</strong> apôtres ? Pourquoi l’<strong>au</strong>torité <strong>des</strong> évêques et pas celle<br />
<strong>des</strong> curés, ministres de l’Évangile ? Pourquoi l’<strong>au</strong>torité <strong>des</strong> curés et non pas<br />
celle <strong>des</strong> fidèles, décidant comme membres de la commun<strong>au</strong>té chrétienne ? Le<br />
bas clergé a été excité à désapprouver les évêques, et le temporel s’est élevé<br />
contre le spirituel. Dans ces désordres, les ration<strong>au</strong>x ont trouvé un be<strong>au</strong> sujet<br />
de dérision, qu’ils ne se sont pas fait f<strong>au</strong>te d’exploiter.<br />
Il est certain que le jansénisme a miné de l’intérieur la religion qu’il<br />
voulait défendre. « <strong>Les</strong> habitu<strong>des</strong> et les procédés jansénistes avaient ébranlé<br />
dans la société laïque l’ascendant du magistère ecclésiastique ; dans cette<br />
Église qui, vis-à-vis <strong>des</strong> philosophes, <strong>au</strong>rait eu besoin de cohésion, <strong>des</strong><br />
brèches existaient, et les dévots pèlerins qui, porteurs du petit manuel publié<br />
en 1767, accomplissaient de Paris <strong>au</strong>x Champs, comme ils eussent fait le<br />
Chemin de la Croix, treize stations de pèlerinage, ne se doutaient pas que cette<br />
religion Port-Royaliste dont ils célébraient les suprêmes liturgies, était<br />
devenue, p.107 sans le vouloir, la fourrière de Voltaire et de Diderot, dont ils<br />
abhorraient les noms 2. »<br />
Mais peut-être <strong>au</strong>ssi, lorsqu’il eut jeté ses derniè res flammes et ne fut plus<br />
que cendre, disparut de la conscience publique un élément d’<strong>au</strong>stérité et de<br />
rigueur dont les philosophes sentaient bien qu’il représentait l’extrême<br />
opposition à leurs facilités.<br />
L’expulsion <strong>des</strong> Jésuites étonna les contemporains , tant la Compagnie<br />
paraissait encore puissante. <strong>Les</strong> Pères étaient riches et ils étaient nombreux ;<br />
dans toute la partie catholique de l’Europe, l’élite de la jeunesse fréquentait<br />
leurs écoles ; ils dirigeaient la conscience <strong>des</strong> rois et <strong>des</strong> reines ; ils avaient<br />
<strong>des</strong> missions à la Chine, leur <strong>au</strong>torité était prépondérante dans les colonies<br />
espagnoles et portugaises de l’Amérique du Sud. En quelques années tout<br />
s’écroula ; leur fin eut le caractère d’un drame rapide et brutal.<br />
<strong>Les</strong> reproches qu’on leur adressait étaient si anciens, si souvent repris,<br />
qu’ils semblaient usés. On allait répétant que leur morale était trop indulgente,<br />
toujours favorable <strong>au</strong>x transactions, prête <strong>au</strong>x accommodements ; que leur<br />
subtile casuistique était faite pour donner raison <strong>au</strong>x pécheurs ; que leur Dieu,<br />
octroyant la grâce à ceux qui ne la demandaient pas, trouvant dans toutes les<br />
f<strong>au</strong>tes un motif de justification, était faible et partial ; qu’ils s’étaient trop<br />
mêlés <strong>au</strong>x affaires de ce monde, oubliant le ciel. Mais c’étaient là vieill es<br />
1 Journal de l’avocat Barbier, année 1729.<br />
2 Georges Goy<strong>au</strong>, Histoire religieuse, dans l’Histoire de la nation française, publiée par G.<br />
Hanot<strong>au</strong>x, t. VI, ch. VI, <strong>La</strong> fin de l’Eglise d’Ancien Régime , p. 481.