La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 311<br />
Nous avons commencé par <strong>des</strong> cavernes, <strong>des</strong> huttes, <strong>des</strong> habits de pe<strong>au</strong>x de<br />
bêtes, et du gland ; nous avons eu ensuite du pain, <strong>des</strong> mets salutaires, <strong>des</strong><br />
habits de laine et de soie filée, <strong>des</strong> maisons propres et commo<strong>des</strong> ; mais, dans<br />
ce qui concerne la religion, nous sommes revenus <strong>au</strong> gland, <strong>au</strong>x cavernes et<br />
<strong>au</strong>x pe<strong>au</strong>x de bêtes. » Pensée simpliste, à laquelle s’oppose maintenant une<br />
<strong>des</strong> hypothèses les plus h<strong>au</strong>tes qu’on ait jamais conçues pour expliquer la<br />
marche de l’humanité.<br />
<strong>Les</strong>sing, apôtre de la raison ; mais d’une raison à la fois immanente et<br />
transcendante ; d’une raison qui, dans son travail, s’aide quelq uefois de<br />
l’intuition ; qui ne refuse même pas les fulgurations de certains mystiques,<br />
qu’elle considère comme <strong>des</strong> prédécesseurs qui ont été seulement trop hâtifs.<br />
De sorte qu’il réhabilitait <strong>des</strong> forces dont ses prédécesseurs avaient nié la<br />
valeur et la présence même.<br />
<strong>Les</strong>sing, un <strong>des</strong> maîtres de l’Aufklärung, et non le moins glorieux. Mais<br />
de l’Aufklärung, il altérait l’essence. Pour les <strong>au</strong>tres, elle était le privilège du<br />
<strong>siècle</strong>, du <strong>siècle</strong> <strong>des</strong> lumières ; pour <strong>Les</strong>sing, elle était une lueur qui avait déjà<br />
faiblement brillé dans le fond <strong>des</strong> âges ; que le présent n’avait fait que<br />
renforcer ; qui devait s’épurer encore, <strong>au</strong> cours d’un avenir infini. Pour les<br />
<strong>au</strong>tres, elle était un fait, par eux démontré, par eux établi ; quelque chose<br />
d’arrêté, et de décisif ; pour <strong>Les</strong>sing, elle était un devenir. Pour les <strong>au</strong>tres, elle<br />
était un refus de ce qui n’était pas leur vérité ; pour <strong>Les</strong>sing, elle était une<br />
acceptation et une interprétation du tout. Pour les <strong>au</strong>tres, elle était la défaite<br />
irréparable de la métaphysique et de la foi ; pour <strong>Les</strong>sing, elle était une<br />
métaphysique, et presque une foi.<br />
Déjà la Réforme avait brisé l’unité de la croyance, brisé d’une façon telle<br />
que tous les efforts accomplis pour la p.421 reconstitution, si persistants qu’ils<br />
fussent, demeuraient vains. Mais maintenant, c’était une <strong>au</strong>tre affaire ; l’unité<br />
de croyance ne pouvait plus être <strong>au</strong>tre chose qu’un lointain souvenir. Chaque<br />
sage interprétait à sa manière la nature du Dieu qu’il voulait bien garder<br />
encore. Quand ces doctrines diverses tombaient dans l’esprit de la foule, elles<br />
s’atténuaient, elles se dissolvaient ; elles finissaient par disparaître. Il n’y avait<br />
plus la masse <strong>des</strong> fidèles, et quelques rebelles parmi eux ; il y avait <strong>des</strong><br />
indifférents. <strong>La</strong> chrétienté ne se scindait plus seulement ; elle s’émiettait, elle<br />
se dissolvait. Restait un troupe<strong>au</strong> qui ne cherchait plus son bonheur que dans<br />
cette vie mortelle et qui l’interprétait bassement. Il ne le voyait plus que dans<br />
le bien-être, les satisfactions matérielles, voire même que dans le plaisir. Il<br />
n’était même pas athée, puisque l’athéisme suppose un terme à nier ; il n’était<br />
plus rien. Il était livré à sa propre conscience, et il n’avait plus de conscience ;<br />
en dehors <strong>des</strong> devoirs que lui imposait la vie sociale, il ne se sentait plus de<br />
devoirs ; il ne se souvenait que de ses droits. Des milliers, <strong>des</strong> centaines de<br />
milliers, <strong>des</strong> millions d’hommes, n’éprouvant plus rien d’analogue <strong>au</strong>x<br />
angoisses d’un Pope, ne voyant plus dans Voltaire que son côté <strong>des</strong>tructeur,