La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 327<br />
partie. Il n’était pas vrai que son théâtre, sa poésie, sa philo sophie, sa science,<br />
fussent de qualité inférieure : la suprématie de son art, à elle seule, <strong>au</strong>rait suffi<br />
à lui assurer son droit à la vie. Il n’était pas vrai qu’elle fût réduite à une<br />
imitation servile. Il n’était pas juste que dans telle ou telle de ses capi tales, et<br />
par exemple à Milan, on traitât d’étranger un Italien qui n’était pas milanais :<br />
un Italien était partout chez lui en Italie, comme un Anglais en Angleterre,<br />
comme un Hollandais en Hollande 1. Souvent les poètes reprenaient le thème<br />
p.441 banal, traité dans toute l’Europe, de la décadence de l’Italie présente,<br />
comparée à la Rome impériale. Mais ils le traitaient, eux, à leur manière ;<br />
rappel d’un titre de noblesse, toujours valable ; crédit sur l’avenir.<br />
Même si nous ne tenions pas compte, à grand tort, de ces appels, de ces<br />
revendications littéraires, de ces exigences, un fait psychologique demeurerait<br />
certain. Ceux qui ont étudié les traits profonds de la race n’ont jamais manqué<br />
d’insister sur un certain bon sens pratique qui leur semble un <strong>des</strong> traits<br />
dominants de cette âme latine. Il apparaît ici, en effet, irréductible à toutes les<br />
idéologies. Liberté, égalité, progrès : fort bien ; mais plus qu’à la valeur<br />
théorique <strong>des</strong> principes que ces mots engagent, l’Italie pense à leur appli cation<br />
particulière ; elle entend se réformer elle-même avant de réformer le monde.<br />
Elle n’est point tellement férue de l’État libéral, qu’elle ne s’accorde avec les<br />
gouvernements, même <strong>au</strong>toritaires, qui veulent travailler à son bien ; que<br />
Naples soit république ou monarchie absolue, l’essentiel est qu’on y combatte<br />
efficacement la féodalité qui pèse lourdement sur le peuple. Pour elle,<br />
l’égalité n’est pas nivellement, mais meilleure organisation <strong>des</strong> classes. Le<br />
progrès est une répartition plus équitable de l’impôt, l’établissement d’un<br />
cadastre, les facilités données <strong>au</strong> commerce et à l’agriculture. On voit chez<br />
elle peu d’esprits absolus, et on y chercherait en vain l’équivalent du baron<br />
d’Holbach ; elle n’éprouve pas le besoin d’abolir sa religion ancestrale, soit à<br />
c<strong>au</strong>se d’un scepticisme modéré qui la protège contre les excès, fût -ce celui de<br />
l’incroyance, soit par ce qu’elle respecte sa tradition, soit parce qu’elle se<br />
contente de remédier <strong>au</strong>x abus de l’admi nistration ecclésiastique, sans la<br />
confondre avec l’essence de la foi. Ses gran<strong>des</strong> oeuvres — celle de Parini,<br />
celle de Pietro Verri, celle de Beccaria — sont sociales ou économiques. En<br />
Italie, la philosophie <strong>des</strong> lumières ne se traduira pas en révolution, mais en<br />
évolution immédiatement profitable. S’il n’est pas exact de lui prêter, dès ce<br />
temps-là, <strong>des</strong> plans précis d’unité nationale, il n’en f<strong>au</strong>t pas moins reconna ître<br />
l’existence d’un vif sentiment d’ italianità, qui est à l’origine de sa résurrec -<br />
tion politique : le Risorgimento commence dès le XVIII e <strong>siècle</strong>.<br />
Le second <strong>des</strong> deux pays qui prononcèrent le grand refus est l’Allemagne.<br />
Même sensibilité, chez ses écrivains, à tous p.442 les jugements défavorables<br />
que l’étranger portait sur eux ; mêmes aigreurs et mêmes colères, à l’idée<br />
1 G. Rinaldo Carli, Della patria degli Italiani. Dans Il Caffè, 1764-1765, semestre terzo,<br />
p.12-17.