La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 159<br />
Arma contre Henry la France mutinée,<br />
Et comment nos aïeux à leur perte courants<br />
Au plus juste <strong>des</strong> rois préféraient <strong>des</strong> tyrans...<br />
On l’avait appl<strong>au</strong>di : le Poème épique, longtemps silencieux, avait<br />
retrouvé la voix par le mérite de ce Français dont on était fier 1.<br />
Combien d’<strong>au</strong>teurs comiques cherch èrent à rivaliser avec Molière, ou si<br />
l’entreprise était trop dangereuse, combien se contentèrent de l’imiter ! Le<br />
Glorieux de Destouches, le Méchant de Gresset, <strong>des</strong>cendent du Misanthrope<br />
et de l’Avare, pères de pâles héritiers ; Holberg avait devant les yeux assez de<br />
types loc<strong>au</strong>x, et en soi-même assez de verve pour composer <strong>des</strong> comédies<br />
originales ; elles l’<strong>au</strong>raient été davantage encore s’il n’avait regardé du côté de<br />
Pl<strong>au</strong>te et de Molière, et s’il n’avait eu peur de violer la règle <strong>des</strong> unités. Des<br />
cimetières où allèrent dormir pour toujours tant de morts, le plus peuplé fut<br />
celui où reposèrent les tragédies, celles qui furent célèbres, comme la Zaïre de<br />
M. de Voltaire, celles qui tinrent bon pendant quelques soirées, celles qui<br />
obtinrent en une seule fois les honneurs du sifflet et la couronne du martyre.<br />
Elles n’ont plus sur leurs tombes que <strong>des</strong> noms oubliés : ci-gît Cosroès, ci-gît<br />
Aristomène, ci-gît Briseis, ci-gît Eudoxe, et ci-gît Zarucma. Tant et tant de<br />
tragédies et de tragi-comédies, qu’en 1761 on eu t assez de titres pour en<br />
composer un dictionnaire, encore un. Le concours général de tragédie que<br />
l’Europe avait organisé en proposant Caton comme sujet, recommença avec<br />
Mérope : et cette fois un Italien obtint le premier prix ; p.217 du moins ce fut<br />
ainsi que ses compatriotes en jugèrent, lorsque la pièce fut représentée à<br />
Modène, le 11 juin 1713, fiers d’avoir enfin, dans la personne de Scipione<br />
Maffei, un dramaturge parfaitement classique. Cependant son compatriote<br />
Luigi Riccoboni offrait ce paradoxe vivant, d’être le chef réputé d’une troupe<br />
de comédiens dell’arte, caprices, rires, lazzi, et de se lamenter, en même<br />
temps, parce que le théâtre italien n’était pas suffisamment réformé, jamais<br />
assez. Hors de France, on poussait ce cri naïf : Corneille, Racine sont<br />
dépassés ; en France : les Anciens sont dépassés. Mais le croyait-on ?<br />
On continuait. On acceptait les conditions du jeu, telles qu’elles avaient<br />
été formulées, en s’imaginant que quelques modifications légères — un peu<br />
moins d’amour, un peu plu s de couleur dans la tragédie, <strong>des</strong> sujets empruntés<br />
à toutes les époques de l’histoire — permettraient d’atteindre la per fection.<br />
Comme on ne se contentait plus de mûrir longuement quelques oeuvres de<br />
choix, comme la plume courait sur le papier avec une vitesse <strong>au</strong>paravant<br />
inconnue, comme on imprimait tome sur tome, comme une fièvre avait<br />
remplacé le grand calme d’<strong>au</strong>trefois, naissaient et périssaient <strong>des</strong> cen taines de<br />
livres, qui ne valaient même pas le prix de la reliure dont on les avait<br />
embellis. De sorte qu’on est tenté de n’enre gistrer, en constatant cette<br />
1 Journal <strong>des</strong> Savants, 1724, p. 246.