La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 229<br />
réussi. <strong>Les</strong> piétistes l’approuvent. <strong>Les</strong> moralistes la remercient d’avoir rassuré<br />
la vertu. <strong>Les</strong> poètes, n’employant plus le noir que par contraste, prodiguent le<br />
rose et le bleu ; <strong>au</strong>x accents mélancoliques que Matthew Prior avait prêtés à<br />
Salomon pour exprimer la misère de l’ho mme, né pour pleurer, pour peiner, et<br />
pour mourir :<br />
Born to lament, to labour, and to die,<br />
ils substituent <strong>des</strong> hymnes de reconnaissance. Des conservateurs, bien<br />
nantis, Tories par tempérament, par croyance, par tradition, viennent à la<br />
rescousse 1 : le train du monde n’est pas si m<strong>au</strong>vais, après tout ; il f<strong>au</strong>t qu’il y<br />
ait <strong>des</strong> p<strong>au</strong>vres, <strong>des</strong> travailleurs, <strong>des</strong> valets ; <strong>au</strong>trement, la hiérarchie serait<br />
bouleversée, les gentlemen ne seraient plus servis, et la paresse p.311 amènerait<br />
licence, pénurie, dévastations. A cette complicité générale qui unit pour un<br />
temps les individus et les nations, il manque encore un mot ; le voici, c’est<br />
l’optimisme.<br />
Créé par la doctrine, il apparut pour la première fois dans les Mémoires de<br />
Trévoux de février 1737 ; le Dictionnaire de Trévoux l’accepta en 1752 ; et le<br />
Dictionnaire de l’Académie fran çaise dix ans plus tard. Mais à cette dernière<br />
date, l’Académie de Berlin l’avait déjà sanctionné, par un de ces concours qui<br />
jouaient un grand rôle dans la vie intellectuelle de l’é poque. L’an 1753, en<br />
effet, elle avait proposé le sujet suivant, pour l’année 1755 : « On demande<br />
l’examen du système de Pope contenu dans la proposition : Tout est bien. Il<br />
s’agit : 1° de déterminer le vrai sens de cette proposition, conformément à<br />
l’hyp othèse de son <strong>au</strong>teur ; 2° de la comparer avec le système de l’optimisme,<br />
ou du choix du meilleur, pour en marquer exactement les rapports et les<br />
différences ; 3° enfin d’alléguer les raisons que l’on croit les plus propres à<br />
établir ou à détruire le système. » L’Académie de Berlin voulait, on le voit,<br />
rendre à chacun son dû, à Leibniz ce qui appartenait à Leibniz, à Pope ce qui<br />
appartenait à Pope. Le pris fut décerné à Adolf Friedrich von Rheinard, dont<br />
la dissertation fut ensuite traduite et publiée en allemand 2. — 1755 : c’était<br />
l’année du tremblement de terre de Lisbonne.<br />
Cette année-là, la nature n’avait pas seulement suscité quelque peste ou<br />
quelque typhon, pour manquer par exception <strong>au</strong>x lois de sa bonté constante ;<br />
elle avait ébranlé le sol. Lisbonne, ville charmante, <strong>au</strong> site pittoresque, et dont<br />
la population est traditionnellement aimable et douce ; ville prospère, dont le<br />
port était le troisième de l’Europe, après Amsterdam et après Londres ; ville<br />
chrétienne, toute remplie d’églises et de couvent s, toute occupée de messes,<br />
1 Soame Jenyns, Esq. A Free Inquiry into the Nature and Origin of Evil, 1757.<br />
2 Herrn Adolf Friedrich Rheinards, Vergleichung <strong>des</strong> Lehrgebaü<strong>des</strong> <strong>des</strong> Herrnn Popes von<br />
der Vollkommenheit der Velt, mit dem System <strong>des</strong> Herrn von Leibniz, nebst einer<br />
Untersuchung der Lehre der besten Welt, Leipzig, 1757. Abhandlung von der Lehre der<br />
besten Welt, <strong>au</strong>s dem französischen, Wism, 1757.