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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 37<br />

Non pas que religion chrétienne et philosophie <strong>des</strong> lumières se soient<br />

opposées à l’état pur. Il y a eu <strong>des</strong> Pharisiens et <strong>des</strong> vendeurs du Temple<br />

parmi les défenseurs du Christ. Troupe <strong>des</strong> puissants et <strong>des</strong> riches, persuadés<br />

que les choses n’avaient nullement besoin de changer puisqu’elles étaient<br />

organisées à leur profit. Troupe <strong>des</strong> entêtés, <strong>des</strong> bornés, trouvant plus<br />

commode de condamner et de châtier que d’entrer dans le fond de la<br />

controverse. Troupe <strong>des</strong> f<strong>au</strong>x dévots, qui croyaient faire le salut de leur âme<br />

par l’observance <strong>des</strong> pra tiques extérieures, et qui criaient <strong>au</strong> scandale dès<br />

qu’on touchait à quelque superstition manifeste, chrétiens de nom et plus<br />

païens que les gentils et que les idolâtres. Troupe sans charité.<br />

De même, il y avait dans l’<strong>au</strong>tre camp <strong>des</strong> âmes à tel point dépourvues de<br />

sentiment religieux qu’elles ne comprenaient pas, qu’elles ne pouvaient pas<br />

comprendre l’angoisse de ceux qui appellent et l’apaisement de ceux qui<br />

prient. Pour ces âmes-là, les chrétiens n’étaient que <strong>des</strong> faibles ou <strong>des</strong> impos -<br />

teurs. N’éprouvant pas, pour leur compte, le besoin de croire, ils<br />

travestissaient, ils caricaturaient : le christianisme était un complot, si grossier<br />

qu’on s’imaginait à peine qu’il pût avoir pris naissance et s’être perpétué,<br />

entre deux oppressions qui s’étaient unies pour s’assurer le partage de la terre,<br />

celle <strong>des</strong> prêtres et celle <strong>des</strong> rois ; le christianisme n’avait produit que <strong>des</strong><br />

mensonges et <strong>des</strong> crimes, <strong>au</strong> long de l’histoire ; tous les p.53 m<strong>au</strong>x dont nous<br />

souffrons disparaîtraient, le jour où le christianisme <strong>au</strong>rait disparu. Des abus<br />

que l’Église avait tolérés, <strong>au</strong>x quels elle s’était associée quelquefois, ils<br />

faisaient l’essentiel de la foi. <strong>La</strong> foi, à les entendre, était une créduli té absurde<br />

à l’usage <strong>des</strong> ignorants et <strong>des</strong> imbéciles ; elle consistait à croire non ce qui<br />

semble vrai, mais ce qui semble f<strong>au</strong>x à l’entende ment. Au culte du Dieu<br />

d’Israël, d’Abraham et de Jacob, ils substituaient « le culte superstitieux de la<br />

nature humaine 1 ». Human nature vindicated 2. Comme si notre misère « était<br />

venue non pas de notre condition, mais de la religion qui avait voulu<br />

l’interpréter et l’ennoblir, et du Christ.<br />

Mais à travers les épiso<strong>des</strong> d’une mêlée confuse et souvent haineuse,<br />

arguments qui se manquent et qui ne se rencontrent plus, critique qui n’atteint<br />

pas la défense, défense qui ne répond pas à la critique, aigreurs et violences ;<br />

malgré les déviations, les erreurs et le trouble caractère que prend un débat<br />

lorsqu’il est porté devant la multitude, reste que la question qui se posa fut<br />

celle de savoir si l’Europe continuerait à être chrétienne, ou ne le serait plus.<br />

Dans ces conditions s’ouvrit un procès sans précédent, le procès de Dieu.<br />

Le Dieu <strong>des</strong> protestants était mis en c<strong>au</strong>se <strong>au</strong>ssi bien que le Dieu <strong>des</strong><br />

catholiques, avec quelques circonstances atténuantes pour le premier, parce<br />

qu’on l’estimait plus près de la raison, plus favorable <strong>au</strong>x lumières. Mais en<br />

gros, on ne voulait pas distinguer entre Genève et Rome, entre saint Augustin<br />

et Calvin. L’origine était commune ; et commune la croyance à la révélation.<br />

1 Grimm, Correspondance littéraire, III, p. 449, décembre 1757.<br />

2 Thomas Chubb, Human nature vindicated, Londres, 1726.

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