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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 329<br />

l’appelle le grand Corneille : c’est le gigan tesque, le monstrueux Corneille<br />

qu’il <strong>au</strong>rait fallu le nommer ; pas de grandeur où il n’y a pas vérité. Et non<br />

seulement ses tragédies sont m<strong>au</strong>vaises, mais il a voulu faire croire qu’il avait<br />

suivi les règles d’Aristote, pour se justifier après coup ; dans ses Discours,<br />

perfidement, une fois son oeuvre terminée, il a interprété la <strong>pensée</strong> du<br />

philosophe grec « d’une façon radicalement f<strong>au</strong>sse ». Donc Corneille est le<br />

premier corrupteur, le responsable, l’homme qui a donné <strong>au</strong> monde l’illusion<br />

que les Français avaient un théâtre, alors qu’ils n’en avaient pas. « J’ose faire<br />

ici une proposition qu’on prendra pour ce qu’on voudra : qu’on me cite une<br />

pièce du grand Corneille que je ne refasse mieux que lui ! Qui tient la<br />

gageure ? »<br />

Personne ne l’a tenue. Le théâtre de Hambourg n’eut qu’une courte vie ; le<br />

dernier feuilleton de la Dramaturgie date du 19 avril 1769. Acrimonieuse,<br />

pédante, injuste tant qu’on voudra, elle est cependant si passionnée, si<br />

puissamment convaincue, si originale, qu’elle compte à demeure parmi les<br />

gran<strong>des</strong> oeuvres de la critique. Elle a marqué un moment historique : elle est<br />

la révolte ouverte contre le génie français, nié jusque dans sa gloire suprême,<br />

le théâtre. A la place occupée par Corneille, Racine, Voltaire, <strong>Les</strong>sing mettait<br />

p.444 Shakespeare, le « géant », qui était, par rapport à la tragédie française, ce<br />

qu’une fresque est à une miniature ; il appelait même à son secours la<br />

Comedia espagnole, parce qu’elle n’était pas conventionnelle, et qu’elle<br />

traduisait une âme indomptée. Tant il fallait de compagnons à <strong>Les</strong>sing irrité,<br />

Anglais, Espagnols, à côté <strong>des</strong> Allemands, pour combattre le prestige de la<br />

France.<br />

Ce que l’Italie n’eut pas non plus, ce fut une incarnation de la patrie ; ce<br />

fut le grand homme qu’on a défini « une intelligence et une volonté qui<br />

manoeuvrent une force » ; ce fut un Frédéric II. Quiconque, non prévenu, lit la<br />

production lyrique allemande qui foisonne vers le milieu du <strong>siècle</strong>, s’étonne<br />

de rencontrer, <strong>au</strong> milieu de tant d’o<strong>des</strong> bachiques, anacréontiques, ou<br />

moralisantes, ou vi<strong>des</strong> tout simplement, <strong>des</strong> allusions <strong>au</strong>x fiers Germains<br />

d’<strong>au</strong>trefois, à leur force, leur vertu, leur indépendance ; <strong>des</strong> plaintes <strong>au</strong> sujet<br />

de la Germanie, maintenant opprimée ; <strong>des</strong> appels à l’union. Ils expriment, ces<br />

poètes encore g<strong>au</strong>ches, le même sentiment, déjà national, qui partout<br />

s’affirme ; et ce sentiment va se cristalliser <strong>au</strong>tour de Frédéric. <strong>Les</strong> Chants<br />

d’un grenadier prussien, de Gleim, réunis en 1758, ne sont pas un<br />

chef-d’oeuvre : mais on peut y voir le passage de l’idée prussienne à l’idée<br />

allemande. Gleim feint d’être un soldat, un combattant, déclarant qu’il es t<br />

<strong>au</strong>tre chose qu’un Pindare ou qu’un Horace : un Tyrtée moderne. Il exalte la<br />

guerre, l’héroïsme, la vaillance de ceux qui meurent pour la patrie et méritent<br />

de vivre éternellement dans la mémoire de leurs concitoyens ; il célèbre la<br />

gloire de Frédéric le Grand. « Victoria ! Mit uns ist Gott ! » <strong>La</strong> Prusse a<br />

vaincu l’Autriche, elle a libéré l’Allemagne :<br />

Wenn Friedrich, oder Gott durch ihn<br />

Das grosse Werk vollgebracht

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