La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 263<br />
CHAPITRE VII<br />
Le sentiment. Primitivisme et civilisation.<br />
p.357 Par moments, le civilisé se sent las d’être lui -même. Il voudrait rejeter<br />
un farde<strong>au</strong> qui pèse à ses ép<strong>au</strong>les et dont il ne s’est pas personnellement<br />
chargé ; les efforts millénaires, les raffinements, les complications composent<br />
cette masse qui lui devient insupportable ; il n’est plus que l’aboutissement<br />
d’un artifice. Sa vie est douce, mais il la trouve frelatée ; ou bien cette<br />
douceur même le désoblige, et il l’appelle mollesse. Il aspire à la simplicité ; il<br />
ne lui déplairait pas que ses habitu<strong>des</strong> délicates fussent violentées, couchant à<br />
la dure et dînant de brouet noir. Où sont les e<strong>au</strong>x vives qui le purifieraient ?<br />
L’homme du XVII I e <strong>siècle</strong> a éprouvé ce sentiment qui, comme tant<br />
d’<strong>au</strong>tres, revient et disparaît par ondulations. Dans son salon, <strong>La</strong>ncret ou<br />
Gainsborough, Boule ou Chippendale, il a souhaité l’air du large.<br />
Commodément installé dans son f<strong>au</strong>teuil, à la comédie, il a appl<strong>au</strong>di <strong>au</strong>x lazzi<br />
d’Arle quin S<strong>au</strong>vage. <strong>Les</strong> moyens d’évasion ne sont jamais nombreux ; il en<br />
avait très peu, en ce temps-là. <strong>Les</strong> exaspérations, les dérèglements <strong>des</strong> sens,<br />
les folies, par lesquels on a espéré, depuis, découvrir l’ineffable et l’inouï,<br />
n’avaient pas été inventés ; il ne trouvait guère à sa disposition que<br />
l’exotisme, ou le merveilleux : tout en se moquant <strong>des</strong> sorciers et <strong>des</strong><br />
nécromants, il regardait l’avenir dans un verre d’e<strong>au</strong>, et invi tait les morts à lui<br />
tenir conversation. Maigres ressources.<br />
Alors il rêvait qu’il remontait le cours du temps. Il vivait avec les<br />
Spartiates ; cessant de voir dans Homère le poète <strong>au</strong>quel il n’avait m anqué<br />
qu’un peu de savoir -faire pour atteindre la perfection, il enviait les moeurs de<br />
la Grèce antique, p.358 les rois qui savaient le nombre de leurs vaches, de leurs<br />
chèvres et de leurs moutons, et préparaient eux-mêmes leur repas ; la reine<br />
Arété qui filait les étoffes dont son mari s’habillait, la princesse N<strong>au</strong>sicaa qui<br />
lavait à la rivière le linge de sa maison. Plus lointainement dans les âges<br />
révolus, il rencontrait le Bon S<strong>au</strong>vage et il l’aimait.<br />
Le bon s<strong>au</strong>vage sortait <strong>des</strong> mains de la Nature ; on pouvait le rencontrer<br />
encore, tel qu’il était <strong>au</strong> commencement du monde, dans <strong>des</strong> régions<br />
difficilement accessibles où de jour en jour on voulait, hélas ! lui imposer les<br />
coutumes absur<strong>des</strong> <strong>des</strong> Européens. Justement, un voyageur venait de lui<br />
donner <strong>des</strong> couleurs plus vives, un relief plus dur, un caractère plus agressif,<br />
comme pour l’offrir en présent <strong>au</strong> <strong>siècle</strong> nouve<strong>au</strong> : le baron de <strong>La</strong> Hontan, qui<br />
avait terminé en 1715 sa carrière aventureuse. Ce révolté, ayant servi dans les<br />
armées du roi <strong>au</strong> Canada, puis ayant abandonné les blancs pour passer du côté<br />
<strong>des</strong> Pe<strong>au</strong>x-Rouges, réunissait, dans un éclatant portrait, les traits les plus vifs