La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 183<br />
contraire, il donne à propos un diamant, un collier de perles ; d’un geste<br />
ostentatoire, il jette <strong>au</strong>x domestiques du prince une bourse pleine ; il ne prend<br />
pas un air m<strong>au</strong>ssade sous prétexte qu’il a contre lui une veine que demain, il<br />
s<strong>au</strong>ra corriger. Il passe de belle en belle et de conquête en conquête, comme<br />
tout le monde ; à peine change-t-il plus souvent que ses amis de rencontre, le<br />
jeune officier qui est fier de ses bonnes fortunes, ou le vieux roué qui ne les<br />
compte plus. Il est la mobilité dans le plaisir ; à un p.249 aventurier du XVIII e<br />
<strong>siècle</strong>, à Casanova, revient d’avoir été une nouvelle inc arnation de Don Juan,<br />
le Don Juan érotique. A un <strong>au</strong>tre revient d’avoir entretenu toute sa vie cette<br />
équivoque, était-ce un homme, était-ce une femme que le chevalier d’Éon ?<br />
On ne dédaigne pas de les prendre, quelquefois, comme agents secrets de<br />
la politique internationale. Souvent ils font partie <strong>des</strong> sociétés secrètes : on a<br />
pu voir, en ce temps-là, un aventurier religieux, Ramsay, qui fut l’un <strong>des</strong><br />
maîtres de la maçonnerie. Bien plus ! Ces êtres qui ont en soi quelque chose<br />
de mystérieux, ayant étudié dans toutes les Universités, à ce qu’ils disent,<br />
guerroyé dans toutes les armées, connu familièrement tous les grands de la<br />
terre ; ces êtres qui semblent appartenir à la catégorie <strong>des</strong> apparitions, qui tout<br />
d’un coup se manifestent et tout d’un coup s’éclips ent, météores, sont les<br />
maîtres <strong>des</strong> puissances surnaturelles. Ils exploitent, ici encore ; ils exploitent<br />
un fond de crédulité superstitieuse, que la raison n’abolit pas, et qui à mesure<br />
que le <strong>siècle</strong> s’avance, prend sa revanche sur la raison. Sorciers, ca balistes,<br />
occultistes, magnétiseurs, prophètes et mages, ils découvrent <strong>des</strong> trésors,<br />
prédisent l’avenir, composent <strong>des</strong> philtres qui rajeuniront les douairières et<br />
leur rendront leur be<strong>au</strong>té de seize ans ; ils guérissent les mala<strong>des</strong> ; il s’en f<strong>au</strong>t<br />
de peu qu’ils ne ressuscitent les morts. Celui -ci possède la panacée, cet <strong>au</strong>tre a<br />
trouvé la pierre philosophale ; cet <strong>au</strong>tre encore a vaincu le temps.. Il demande<br />
à son famulus : « Te rappelles-tu le jour où le Christ fut crucifié ? » Et l’<strong>au</strong>tre<br />
répond : « Monsieur oublie que je suis à son service depuis quinze cents ans<br />
seulement. » Cagliostro, Grand Copte, tandis que sa femme est la Reine de<br />
Saba, a bu l’élixir dont il avait trouvé le secret, l’élixir d’immortalité.<br />
Cela ne l’empêchera pas de mourir dans un cacho t, devenu fou ou<br />
simulant la folie. Car lui-même et ses pareils ne mènent pas jusqu’à la fin leur<br />
comédie, et le dénouement est triste. Ils sont p<strong>au</strong>vres après avoir gaspillé,<br />
emprisonnés après avoir été la liberté même, abandonnés le lendemain du jour<br />
où on leur faisait fête. Ils n’ont pas même, pour retrouver une cons cience<br />
morale, le remords : ils n’ont que le regret. Quelque fois, l’ironie du sort veut<br />
qu’ils traînent une longue vieillesse, pleine de grogneries et d’aigreurs. Enfin<br />
punis, ils le sont cruellement.<br />
<strong>La</strong> société reprend ses droits, apercevant en eux <strong>des</strong> p.250 dissolvants,<br />
qu’elle condamne. Elle ne leur en a pas moins offert un milieu favorable, hors<br />
duquel ils n’<strong>au</strong>raient pu prospérer. Ils ont poussé jusqu’à l’excès, jusqu’<strong>au</strong><br />
paradoxe, et jusqu’<strong>au</strong> vice, quelques -unes <strong>des</strong> idées du temps. The Glittering<br />
century, le <strong>siècle</strong> qui brille : ils ont été ses paillettes. Le <strong>siècle</strong> de l’intel -<br />
ligence : ils n’ont pas pillé les diligences, volé à main armée ; ils se sont servis