La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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1784. <strong>Les</strong> Étu<strong>des</strong> de la Nature.<br />
P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 204<br />
Bernardin de Saint-Pierre, un égoïste, un aigri, un grincheux, mais si doux<br />
en apparence, si plein d’effusions, si habile à placer dans le décor <strong>des</strong> îles<br />
l’amour idéal qu’il n’a pas rencontré dans les terres civ ilisées : « Je combats<br />
ce principe prétendu de nos lumières, que nous appelons raison... » Tout cela,<br />
dans le temps même où se succèdent les oeuvres qui établissent la suprématie<br />
de la raison ; cette effervescence, cette p.278 luxuriance, cette violence, dans le<br />
temps même <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> sécheresses. Ici encore se manifeste l’action d’un<br />
devenir qui altère ce qu’on croyait acquis. Par quelles nécessités<br />
psychologiques, par quelles opérations subtiles, et <strong>au</strong> début presque<br />
invisibles ; et non seulement par quels divorces, mais par quelles ai<strong>des</strong>, par<br />
quels compromis, par quels malentendus, le Philosophe a-t-il libéré<br />
l’Antiphilosophe, a -t-il déchaîné pour sa part l’homme de sentiment ?<br />
« De Locke à Frédéric II, de Newton à Joseph II, de d’Alembert et de<br />
Voltaire à Christian Wolff et à Justus Viser, la <strong>pensée</strong> doit parcourir une<br />
courbe presque infinie pour associer <strong>des</strong> hommes si différents. Et pourtant, il<br />
f<strong>au</strong>t que nous considérions l’ensemble de ce groupe comme représentant une<br />
même tendance ; car tous sont plus ou moins ennemis de l’ancien, ennemis de<br />
la période antérieure ; tous dans une plus ou moins grande mesure estiment la<br />
raison ; tous recherchent et favorisent les conditions susceptibles de rendre<br />
heureuse et facile la vie humaine 1... » C’est vrai ; ces hommes formaient un<br />
groupe, et presque une fraternité ; ils avaient <strong>des</strong> volontés communes ; ils<br />
croyaient marcher du même pas vers le même but ; déjà ils étaient en vue de<br />
la terre promise, ils y touchaient déjà. — Mais il n’est pas de groupe qui ne se<br />
dissocie ; plus fortes sont les individualités qui le composent, et moins<br />
volontiers elles s’accordent ; chacune d’elles, voulant trouver une vérité plus<br />
vraie, se refuse à accepter la vérité du voisin. Dans l’espèce, les rapports entre<br />
l’homme et la divinité, d’où tout dépendait, et qui semblaient réglés une fois<br />
pour toutes, étaient sans cesse repris pour être examinés à nouve<strong>au</strong> ; les<br />
conclusions étaient différentes ; et du coup, c’était l’unité même de<br />
l’Aufklärung qui se trouvait menacée.<br />
En 1802, les églises se rouvriront, les cloches sonneront comme si elles<br />
n’avaient jamais cessé de faire entendre leurs volées ; un poète en prose<br />
invoquera « tous les enchantements de l’imagination et tous les intérêts du<br />
coeur » pour écrire le Génie du Christianisme. Chate<strong>au</strong>briand, répudiant les<br />
lumières, montrera les richesses de l’ombre : « Il n’est rien de be<strong>au</strong>, de doux,<br />
de grand dans la vie, que les choses mystérieuses. <strong>Les</strong> p.279 sentiments les plus<br />
merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément : la pudeur,<br />
l’amour chaste, l’amitié vertueuse sont pleines de secrets. On dirait que les<br />
1 Gyuli Szekfu, <strong>Les</strong> lumières. Dans l’ Histoire hongroise, par Valentin Homan et Gyula<br />
Szekfu, tome V, livre VI, <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong>, Troisième Partie.