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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 42<br />

monde, afin que le Messie servît de guide sur la voie où les hommes, de<br />

terrestres et de mortels qu’ils étaient, deviendraient célestes et immortels :<br />

étant bien entendu que le salut s’obtenait moins par la croyance que par la<br />

pratique de quelques vertus très simples, telles que tout rustre et tout vilain,<br />

toute femmelette si grossière qu’on la suppose, pût s’y conformer. En<br />

troisième lieu était venue l’abomination de la désolation, le règne du Pape.<br />

Des hommes s’étaient emparés de ce christianisme primitif et sur ses bases ils<br />

avaient élevé un édifice entièrement contraire à son esprit. Ils avaient pris en<br />

main la loi du juste et de l’injuste, qualifié les actions de permises ou de<br />

défendues, à leur gré, fait croire à la multitude qu’il leur appartenait d’ouvrir<br />

ou de fermer les portes du ciel. Profitant de l’ignorance <strong>des</strong> princes et de la<br />

bêtise <strong>des</strong> peuples, ils avaient enseigné que <strong>des</strong> biens temporels pouvaient<br />

s’échan ger contre <strong>des</strong> biens spirituels, que donations et legs avaient la vertu<br />

de racheter les âmes, et qu’à bons deniers comptants on payait le paradis.<br />

Ainsi on en était revenu <strong>au</strong> règne terrestre ; pour reconquérir le règne céleste,<br />

il fallait abolir l’Église.<br />

Ce n’était pas la première fois qu’un membre du bas clergé était<br />

mécontent de son sort, se plaignait de sa misère, souffrait du mépris <strong>des</strong><br />

grands. Or voici le tour que chez l’un d’entre eux p rit cette protestation.<br />

Vivait à Etrépigny en Champagne un bon curé, ou du moins un assez bon<br />

curé, à en juger selon les apparences. Il était d’une famille aisée, qui avait<br />

donné plusieurs docteurs à l’Église ; cultivé, on le voyait occupé à lire et à<br />

relire les livres de sa bibliothèque. Il est vrai qu’il avait eu <strong>des</strong> démêlés avec le<br />

seigneur du pays, et qu’il avait refusé de le recommander <strong>au</strong> prône ;<br />

l’archevêque de Reims lui avait donné tort, exigeant de lui une amende<br />

honorable. Ce sur quoi il était monté en chaire, le dimanche qui avait suivi cet<br />

ordre : « Voilà le sort ordinaire <strong>des</strong> p<strong>au</strong>vres curés de campagne ; les<br />

archevêques, qui sont de grands seigneurs, les méprisent et ne les écoutent<br />

pas ; ils n’ont d’oreilles que pour la noblesse. Recommandons do nc le<br />

seigneur de ce lieu, et prions pour M. de Cléry ; p.60 demandons à Dieu sa<br />

conversion et qu’il lui fasse la grâce de ne point dépouiller les orphelins. » Ce<br />

propos n’ayant pas arrangé les choses, comme bien on pense, la lutte inégale<br />

avait continué ; et l’on rapporte que le seigneur faisait jouer du cor sous les<br />

fenêtres de l’église, le dimanche, tandis que le curé prêchait. Jean Meslier<br />

n’était pas très favorablement noté ; mais assidu à ses fonctions, disant ses<br />

offices, sans <strong>au</strong>tre aventure il mourut, en 1729.<br />

Or il laissait trois exemplaires d’un testament animé de telles fureurs,<br />

qu’après deux cents ans passés on ne peut le lire sans un frémissement :<br />

amertume qui s’exhale à flots ; amas de rancunes et de haines exaspérées par<br />

leur impuissance ; appel à une révolte que pour son compte Meslier n’avait<br />

pas osé entreprendre ouvertement : le reproche de lâcheté qu’il se faisait à<br />

lui-même entrait pour une part dans la frénésie <strong>des</strong> insultes qu’il adressait à la<br />

religion et à Dieu. Rage de s’être laissé conduire à l’état ecclésiastique,<br />

d’avoir eu les apparences d’un prêtre orthodoxe, d’avoir été opprimé, d’avoir

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