La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 188<br />
sommet d’où tout <strong>des</strong>cend, l’image sur laquelle tout se modèle, c’est la<br />
femme 1. »<br />
L’homme de lettres.<br />
De l’homme de lettres, nous nous ferons une h<strong>au</strong>te idée. Ce sera it<br />
blasphémer que de dire qu’il n’est pas plus utile à l’État qu’un joueur de<br />
quilles ; <strong>au</strong> contraire, il est devenue constate l’abbé Raynal, « un citoyen<br />
important ».<br />
Il vit de son métier : voilà le changement. Le livre est devenu un objet de<br />
rapport ; on ne le donne plus <strong>au</strong> libraire, on le vend ; entre le libraire et<br />
l’<strong>au</strong>teur un contrat s’établit, fructueux pour le premier, mais non pas<br />
improductif pour le second. En 1697, Dryden a touché la somme de quatorze<br />
cents livres pour sa traduction de Virgile. Addison a tiré du public une partie<br />
de sa subsistance ; Pope s’est procuré l’aisance ; à elles seules, ses<br />
traductions, celle de l’Iliade, puis celle de l’Odyssée, lui ont rapporté une<br />
somme d’environ neuf mille livres sterling. Sa villa à Twickenham, son ja rdin<br />
et sa grotte en rocaille, il les doit à son talent. Goldsmith ne mène pas une<br />
existence dorée ; il a pourtant conscience <strong>des</strong> progrès de sa condition, et il<br />
proclame sa reconnaissance, p.256 envers ses bons et généreux amis, les<br />
lecteurs : chaque membre éclairé de la société, en achetant ce qu’écrit<br />
l’homme de lettres, contribue à le rémunérer ; la mode de parler plaisamment<br />
<strong>des</strong> <strong>au</strong>teurs, comme miséreux et faméliques, pouvait être spirituelle, naguère :<br />
elle a cessé de l’être parce que la chose n’est pl us vraie ; un <strong>au</strong>teur refuse<br />
maintenant une invitation à dîner sans avoir à craindre ou le mécontentement<br />
de son protecteur, ou l’inconvénient de jeûner en rentrant chez soi ; et même,<br />
s’il ne peut se vanter d’être riche, il peut revendiquer la dignité de<br />
l’indépendance... <strong>Les</strong>age est le premier Français, nous dit -on, qui ait tiré sa<br />
subsistance de ses romans, de son théâtre ; Mariv<strong>au</strong>x, ruiné par le système de<br />
<strong>La</strong>w, s’est tiré d’affaire par son travail ; Voltaire est un homme de lettres<br />
grand seigneur. Il est vrai qu’il a été financier, <strong>au</strong>ssi ; mais en cela même, il a<br />
pensé qu’il fallait dissocier les deux notions, celle d’écrivain et celle de<br />
besogneux.<br />
<strong>Les</strong> choses sont allées plus lentement en Allemagne, mais là <strong>au</strong>ssi, le<br />
théâtre, les traductions, et cette ressource devenue générale, les journ<strong>au</strong>x, ont<br />
permis <strong>au</strong>x écrivains de se dégager de leurs liens ; Nicolaï l’éditeur a fourni<br />
un centre <strong>au</strong>x représentants de l’Aufklärung. En Italie : Écrivains du Caffè 2,<br />
répondez à cette question : pourquoi donc les hommes de lettres étaient-ils<br />
honorés dans le temps passé, et ne le sont-ils plus <strong>au</strong>jourd’hui ? — Question<br />
mal posée, car les hommes de lettres n’ont pas à se plaindre du présent. Le<br />
1 Edmond et Jules de Goncourt, <strong>La</strong> femme <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong>, 1862. Chapitre IX.<br />
2 Il Caffé, Degli onori resi ai Letterati. Semestre secundo, 1765.