La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 140<br />
ni <strong>au</strong>x aventures excitantes de l’esprit, il se réjouit seulement de montrer <strong>des</strong><br />
modèles qu’on n’<strong>au</strong>ra plus qu’ à imiter dans tous les genres, du tempéré <strong>au</strong><br />
sublime. Le maître, à leur occasion, fera remarquer <strong>au</strong>x élèves comment dans<br />
l’exorde on se rend les <strong>au</strong>diteurs favorables ; quelle clarté règne dans la<br />
narration, quelle brièveté, quel air de sincérité, quel <strong>des</strong>sein caché, et quel<br />
artifice ; car le secret de l’art n’est guère connu que <strong>des</strong> maîtres de l’art. <strong>Les</strong><br />
idées importent be<strong>au</strong>coup moins que la forme et ingénument la <strong>pensée</strong> est<br />
limitée à un exercice verbal : « Pensée est un mot fort vague et fort général,<br />
qui a plusieurs significations fort différentes, <strong>au</strong>ssi bien que le mot latin<br />
sententia. On voit assez que ce que nous examinons ici, sont les <strong>pensée</strong>s qui<br />
entrent dans les ouvrages de l’esprit, et qui en sont les principales be<strong>au</strong>tés. »<br />
De même pour la poésie : chez Virgile ou chez Ovide, que d’images à<br />
cueillir ! que de passages sublimes à retenir par coeur ! Sans doute, ces trésors<br />
se trouvent chez les <strong>au</strong>teurs profanes, dont quelques pédagogues trop rigi<strong>des</strong><br />
ont interdit la fréquentation. Mais serons-nous plus sévères que les Pères de<br />
l’Église, qui n’ont pas craint d’aller chercher chez eux les éléments du style ?<br />
De même que la <strong>pensée</strong> n’était qu’une parure du discours, de même la lecture<br />
<strong>des</strong> poèmes sert à montrer comment on emploie p.192 les épithètes, comment on<br />
amène une répétition, comment on conduit une harangue ; du sentiment<br />
poétique il n’est jamais question.<br />
Charles Rollin n’est pas aride, voire il pourrait l’être un peu plus sans<br />
inconvénient ; il n’est pas impérieux, il est aimable ment doctoral. A<br />
l’ entendre, toute matière qu’il traite est si importante qu’elle mérite de retenir<br />
spécialement l’attention. A propos du raisonnement et de la preuve : « C’est<br />
ici la partie de l’art oratoire la plus nécessaire, la plus indispensable qui en est<br />
même comme le fondement, et à laquelle on peut dire que toutes les <strong>au</strong>tres se<br />
rapportent. » A propos de la fable : « Il n’y a guère de matière, dans ce qui<br />
regarde l’étude <strong>des</strong> belles -lettres, qui soit ni d’un plus grand usage que celle<br />
dont je parle ici, ni plus susceptible d’une profonde étude, ni plus embarrassée<br />
d’épines et de difficultés. » Il est si sincèrement convaincu qu’il persuade son<br />
lecteur, c’est là son fort ; on ne s<strong>au</strong>rait trouver avocat plus disert. Mais son<br />
attitude n’en est pas moins celle de l’<strong>au</strong>torité ; et pour défendre un passé<br />
glorieux, ce n’en est pas moins la pente du <strong>siècle</strong> qu’il prétend remonter.<br />
Comme contenu, les humanités classiques, à peu près exclusivement ; comme<br />
esprit, le désir de transmettre un dépôt intangible. <strong>La</strong> personnalité <strong>des</strong> élèves<br />
n’est jamais en jeu ; leur collaboration est toute de passivité, leur effort, tout<br />
d’imitation ; il n’y <strong>au</strong>ra dans leur intelligence, dans leur coeur, dans leur âme,<br />
que les valeurs traditionnelles que le maître y <strong>au</strong>ra versées.<br />
Non pas qu’il laisse la cl asse tout à fait comme il l’a trouvée. De temps à<br />
<strong>au</strong>tre, il entrouvre une fenêtre, il entrebâille une porte ; il a de l’estime pour<br />
Locke, bien que ce dernier « ait <strong>des</strong> sentiments particuliers qu’on ne s<strong>au</strong>rait<br />
toujours adopter, et qu’il semble insuffisamme nt versé dans l’étude de la<br />
langue grecque comme dans l’étude <strong>des</strong> belles -lettres, dont il ne fait pas assez<br />
de cas ». En disant son mot contre les héros guerriers et contre les <strong>des</strong>potes,