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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 189<br />

goût de la lecture s’est largement répandu, et ils en ont profité. On a su rendre<br />

justice à Scipione Maffei, à Ludovico Antonio Muratori, à Francesco<br />

Algarotti ; la cour de Vienne a donné distinctions et richesses à Métastase. En<br />

somme, pour peu qu’on soit initié à ce qui regarde l’état <strong>des</strong> lettres en Europe,<br />

on doit reconnaître que jamais on n’a fait tant d’honneur <strong>au</strong>x hommes qui ont<br />

contribué à éclairer le public et à répandre les vérités utiles...<br />

Ce changement n’est pas sans conséquences pour le contenu et pour la<br />

forme même de la littérature. Quand on publiait pour son plaisir ou pour sa<br />

gloire, on avait tout son temps ; quand on publie pour payer son boulanger et<br />

son propriétaire, il f<strong>au</strong>t produire be<strong>au</strong>coup et vite. Dès qu’on a livré un p.257<br />

manuscrit, on songe à celui qu’on livrera ; les périodiques sont dévorateurs de<br />

copie. On n’a plus le temps de laisser une oeuvre se composer comme<br />

d’elle -même après une lente maturation. D’<strong>au</strong>tre part, on est en contact plus<br />

direct avec les lecteurs, on participe de plus près à leur vie. Et surtout, on<br />

s’imagine plus libre : l’essentiel est là. Dure condition que celle d’un <strong>au</strong>teur<br />

qui n’a plus de Mécène ! C’est le jour de fête, l’infante fait son entrée, les<br />

habitants sont dans les rues, afin de voir passer son cortège ; seul un<br />

cordonnier reste dans son échoppe. Au journaliste qui entre chez lui et qui<br />

s’étonne, il explique qu’il f<strong>au</strong>t bien qu’il peine, qu’il a <strong>des</strong> souliers à rendre,<br />

qu’il doit gagner son pain. Ainsi du journaliste lui -même, ainsi de l’homme de<br />

lettres qui tend à devenir publiciste : il ne cesse pas de travailler, même quand<br />

les <strong>au</strong>tres se reposent 1. Mais ce sort plus difficile, il l’accepte parce qu’il le<br />

trouve plus noble ; il en voit, avec les inconvénients, la grandeur. Telle quelle,<br />

il aime sa tâche sous son aspect nouve<strong>au</strong>. Gray est un plaisant homme, dit<br />

Samuel Johnson ; Gray a la prétention de ne faire <strong>des</strong> vers que lorsqu’il se<br />

sent en veine ! Pour sa part, Johnson abat régulièrement sa besogne, heureux<br />

de penser que la littérature est devenue une profession, que c’en est fait du<br />

patronat.<br />

« Être <strong>au</strong>teur, c’est un éta t <strong>au</strong>jourd’hui, comme d’être mili taire, magistrat,<br />

ecclésiastique ou financier 2. « Un travail d’idées s’opère <strong>au</strong>tour de cette<br />

phrase : on fait brièvement l’histoire de l’homme de lettres à travers les âges,<br />

on cherche à lui trouver une définition, et ce n’est pas le plus facile ; on établit<br />

son statut moral. Et l’on revient toujours à dire que la république <strong>des</strong> lettres se<br />

composait <strong>au</strong>trefois de dilettantes qui s’occupaient d’objets indifférents <strong>au</strong><br />

bien général, tandis que ses membres, à présent, remplissent une fonction.<br />

Donc ils ne seront plus <strong>au</strong> service <strong>des</strong> grands. Telle que la voyaient les<br />

philosophes, la situation était celle-ci : les puissants de ce monde étaient à la<br />

fois <strong>des</strong> alliés de l’homme de lettres, en ce sens qu’ils le nourrissaient, le<br />

protégeaient, le pensionnaient ; et ses ennemis, en ce sens qu’ils dirigeaient sa<br />

plume. <strong>Les</strong> écrivains n’entendent pas que la rupture soit complète, p.258 ils ne<br />

1 Mariv<strong>au</strong>x, Le Spectateur français, 1722-1723, feuille 5.<br />

2 Almanach <strong>des</strong> <strong>au</strong>teurs, 1755

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