La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 130<br />
même qu’il y en a de physiques e ntre le jeune et le vieux, entre l’athlète et<br />
l’infirme. Il serait stupide de vouloir égaliser les classes : suffit que les<br />
hommes soient ég<strong>au</strong>x devant la loi et que la naissance ne confère <strong>au</strong>cun<br />
privilège : en cela seulement consiste l’éga lité 1.<br />
Un certain conservatisme social se sentait en danger dès qu’il ne s’agissait<br />
plus de Salente, mais de Paris ou de Berlin ; il produisait un réflexe de<br />
sécurité. De même qu’en matière de science, on voyait l’univers s’organiser<br />
suivant les degrés de la grande échelle <strong>des</strong> êtres, chaque animal, chaque plante<br />
et chaque pierre étant à sa juste et immuable place, et qu’il fallait un immense<br />
effort révolutionnaire pour concevoir un transformisme : de même, on croyait<br />
que la fixité <strong>des</strong> classes pouvait seule assurer ce qu’o n appelait la permanence<br />
de la société. <strong>Les</strong> classes, ici, représentaient les degrés de l’échelle et les cases<br />
du damier. Elles maintenaient l’ordre ; qui <strong>au</strong>rait voulu les bouleverser, <strong>au</strong>rait<br />
du même coup bravé la volonté du ciel et compromis le bonheur <strong>des</strong> hommes.<br />
Suivons le raisonnement de Voltaire, à l’article Égalité du Dictionnaire<br />
philosophique. Oui, tous les hommes jouissant <strong>des</strong> facultés attachées à leur<br />
nature sont ég<strong>au</strong>x ; ils le sont quand ils s’acquit tent <strong>des</strong> fonctions animales et<br />
quand ils exercent leur entendement. Mais ils ont <strong>des</strong> besoins ; pour les<br />
satisfaire, une certaine organisation est nécessaire, donc ils se subordonnent<br />
les uns <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres. « Il est impossible dans notre malheureux globe que les<br />
hommes vivant en société ne soient pas divisés en deux classes : l’une, de<br />
riches qui commandent ; l’<strong>au</strong>tre, de p<strong>au</strong>vres qui servent ; et ces deux se<br />
subdivisent en mille ; et ces mille ont encore <strong>des</strong> nuances différentes. »<br />
L’infranchissable barrière est celle de la propriété : la loi p.179 de propriété<br />
se trouve nécessairement exclusive de l’égalité 2. Il est vrai que quelques<br />
<strong>au</strong>dacieux, enfants perdus, s’étonnent du caractère sacro -saint qu’on lui<br />
conserve, s’indignent de ce qu’on propose de changer l’état politique sans<br />
changer l’état social, et p rédisent qu’il en résultera « une révolution terrible et<br />
inutile 3. » Il est vrai qu’en 1755, Morelly donne son Code de la Nature, où<br />
l’on trouve les principes et le programme détaillé de cette révolution sociale :<br />
l’impitoyable propriété est la mère de to us les crimes qui inondent le monde,<br />
il f<strong>au</strong>t la supprimer. En conséquence : « I. — Rien dans la Société<br />
n’appartiendra singulièrement ni en propriété à personne, que les choses dont<br />
il fera un usage actuel, soit pour ses besoins, ses plaisirs ou son travail<br />
journalier. II. — Tout citoyen sera homme public, sustenté, ou entretenu et<br />
occupé <strong>au</strong>x dépens du public. III. — Tout citoyen contribuera pour sa part à<br />
l’utilité publique, selon ses forces, ses talents et son âge, c’est sur cela que<br />
1 D’Alembert à Frédéric II, 8 juin 1770 ; Baron d’Holbach, <strong>La</strong> politique naturelle, 1773,<br />
paragraphe XXXII ; Pietro Verni, Modo di terminare le dispute, définition du mot<br />
Aquaglianza ; Gaetano Filangieri, <strong>La</strong> scienza della Legislazione, 1783, Livre I.<br />
2 Lemercier de la Rivière, L’ordre naturel et essentiel <strong>des</strong> sociétés politiques, 1767.<br />
3 Dom Deschamps, Le vrai Système, ou le mot de l’énigme, publié par Jean Thomas et F.<br />
Venturi, 1939.