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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 239<br />

administrative qu’ils opéraient établissait l’ordre à la place du désordre :<br />

l’ordre, reflet de la raison universelle ; ils rationalisaient l’État. <strong>La</strong> raison, une<br />

fois invoquée, justifiait leur conduite : Euclide <strong>au</strong>ssi était un <strong>des</strong>pote. On<br />

pouvait même dire qu’il appartenait à l’esprit le plus fort, à l’intelligence la<br />

plus claire, à l’entendement le plus sûr, de dominer ; si bien que le droit<br />

héréditaire se trouvait sanctionné dans leur personne par le droit naturel. Plus<br />

encore : s’il n’y avait pas d’<strong>au</strong>tre morale que celle de l’utilité, pourquoi ne<br />

serait-il pas permis à une nation plus grande de subjuguer une nation qui<br />

représentait un moindre degré du bien général ? Comment la taxer de<br />

forfaiture, si ses conquêtes elles-mêmes accumulaient en fin de compte une<br />

plus vaste somme de bonheur ?<br />

Mais quelles que fussent les possibilités de conciliation, celles-ci ne<br />

faisaient que masquer un antagonisme irréductible : ou bien l’État absolu,<br />

dirigeant toutes les activités humaines ; ou bien l’État libéral. <strong>Les</strong> théoriciens<br />

de l’État libéral, s’alliant <strong>au</strong>x représentants de l’État <strong>des</strong>potique, trahissaient<br />

leur philosophie politique. Ou bien il f<strong>au</strong>t forcer la nature, ou bien il f<strong>au</strong>t la<br />

laisser agir. Ou bien le maximum d’intervention, ou bien le minimum. Ou<br />

bien la vertu spontanée <strong>des</strong> lois éternelles, ou bien la volonté d’un homme qui<br />

domine tout, même la loi.<br />

Une forme de gouvernement s’imposait à l’Europe conti nentale, qui<br />

n’avait rien à voir avec les constitutions, l’équi libre <strong>des</strong> pouvoirs et la crainte<br />

soupçonneuse que l’un de ces pouvoirs ne vînt à l’emporter. Le sort en avait<br />

été jeté en 1740, lorsque Frédéric II avait succédé <strong>au</strong> Roi-Sergent. Adieu,<br />

l’Anti -Machiavel ! Faire son apprentissage, corriger son impulsivité, dompter<br />

son horreur première <strong>des</strong> champs de bataille, et sa peur ; connaître le faible<br />

<strong>des</strong> hommes pour mieux se servir d’eux ; maîtriser jusqu’à son corps, et<br />

l’habituer à marcher lorsque son âme lui disait : marche ; user <strong>au</strong> mieux <strong>des</strong><br />

dons d’une intelligence sans pa reille ; devenir peu à peu p.325 l’habile entre les<br />

habiles, et le fort entre les forts ; prendre en main la politique extérieure, la<br />

direction de la guerre, l’administration, les finances, l’industrie, l’éducation<br />

même ; rapporter toutes choses, et jusqu’ <strong>au</strong> plus petit détail, à une volonté<br />

unique, transformer son maigre héritage en l’une <strong>des</strong> premières, et, s’il était<br />

possible, la première <strong>des</strong> puissances de l’Europe : telle fut son oeuvre, et<br />

consciente. Car il n’était pas seulement le serviteur de l’État, il était l’État. Il<br />

n’y a pas eu, dans tout le <strong>siècle</strong>, de personnalité plus saisissante que la sienne ;<br />

le <strong>siècle</strong> s’est tourné vers lui avec admiration. Entre le poète, le musicien, le<br />

dilettante de Rheinsberg et le vieux Fritz <strong>au</strong>x habits sales, les membres<br />

déformés par la goutte et le nez barbouillé de tabac, que d’êtres réunis en un<br />

seul ! Le général qui, le soir de la bataille, récite du Racine et se croit<br />

lui-même un héros racinien. Le voyageur qui appelle à la portière de son<br />

carrosse les bourgmestres et les juges, qui interroge les paysans sur les terres<br />

arables, les vaches et le sel. L’ironique, le méprisant, le taquin, le gogue nard,<br />

le mesquin qui cherche à économiser deux liards et l’homme de génie. Le<br />

fonctionnaire infatigable qui fait comparaître ses subordonnés dans son

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