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La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...

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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 182<br />

tombe<strong>au</strong> du Christ, en chassant les Turcs <strong>des</strong> Lieux Saints ; même les<br />

expéditions sur les mers lointaines se disciplinèrent, routes du commerce,<br />

découvertes organisées. L’héroïque n’avait plus qu’à se tenir dans les genres<br />

littéraires qui lui étaient assignés, dernier refuge. L’aventure devint un métier,<br />

nuancé de plaisir et de grâces ; l’aventurier, petite épée, soie et dentelles,<br />

devint un personnage qui prit figure dans la société.<br />

Il peut être de famille honorable, mais en général il juge plus sûr de se<br />

fabriquer lui-même <strong>des</strong> titres de noblesse. Sorti du ghetto, Lorenzo da Ponte<br />

prend le nom de l’évêque qui l’a baptisé et qui l’a fait entrer <strong>au</strong> séminaire. Le<br />

père de Casanova était acteur d’occasion, sa mère était fille d’un cordonnier.<br />

Giuseppe Balsamo, né en Sicile de parents médiocres, et dont la jeunesse est<br />

celle d’un m<strong>au</strong>vais garçon, échange son nom roturier contre une appellation<br />

sonore, Cagliostro : car enfin, c’est un bien commun à tout le monde que les<br />

lettres de l’alphabet.<br />

Le lieu de ses exploits n’est pas la savane ou l’océan, mais les capitales où<br />

les aigrefins trouvent toujours à se tirer d’affaire ; à moins qu’il ne préfère les<br />

petites cours, où l’on s’ennuie, où sa présence est antiléthargique. Oubli eux de<br />

ses débuts p.248 ingrats, léger de scrupules, paré de tous ses prestiges, un soir il<br />

arrive, venant on ne sait d’où ; <strong>au</strong> bout de quelques jours, il est parti, laissant à<br />

ses hôtes le soin de payer les comptes et de réparer les dommages. Son séjour<br />

n’est jamais long ; il parcourt l’Europe ; il va jusqu’en Égypte, jusqu’en<br />

Orient, comme le marquis de Bonneval, croisé à rebours, qui devint pacha ;<br />

jusqu’<strong>au</strong> Nouve<strong>au</strong> Monde, comme Lorenzo da Ponte, qui devint professeur<br />

d’italien à New York.<br />

D’où vient sa fortune passagère ? Au fond il n’est rien ; son carrosse n’est<br />

pas à lui ; s’il a un valet, c’est son complice ; ses habits même ne sont pas<br />

payés ; il n’a <strong>au</strong>cun répondant, les informations qu’on prendrait sur son passé<br />

seraient si m<strong>au</strong>vaises qu’on le chass erait <strong>au</strong>ssitôt. Mais les dehors sont<br />

brillants. Il a un vernis de culture, il dit qu’il sait le latin et les langues<br />

étrangères, il possède le français, ce passe-partout. Comme sa mémoire est<br />

prodigieuse, il a pris et retenu <strong>au</strong> passage <strong>des</strong> lambe<strong>au</strong>x de connaissances,<br />

dont il pare son discours avec dextérité ; quelquefois il est poète, il est même<br />

capable de composer <strong>des</strong> livrets d’opéra. Il connaît la musique et la danse ; il<br />

est spirituel ; il entretient les conversations en rapportant les gran<strong>des</strong><br />

nouvelles et les menus ragots. Ajoutons l’effronterie, l’<strong>au</strong>dace et la force<br />

d’une personnalité qui ne craint ni les hommes ni les dieux.<br />

L’aventurier exploite les vices d’un monde qui se décom pose ; la<br />

hiérarchie n’est plus assurée, les vieux principes sont rail lés, l’<strong>au</strong>stérité est<br />

passée de mode, et l’on préfère à une vertu morose un homme qui sait amuser.<br />

Il prend naturellement sa place à la table de jeu, la partie est engagée quand il<br />

s’installe ; s’il triche, il n’est pas le seul ; on ne se fâchera que si on le prend à<br />

faire passer sans discrétion une carte dans sa manche : or il n’est pas<br />

maladroit. On dépense sans compter, et l’aventu rier n’est pas mesquin : <strong>au</strong>

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