La pensée européenne au XVIIIe siècle - Les Classiques des ...
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P<strong>au</strong>l Hazard — <strong>La</strong> <strong>pensée</strong> <strong>européenne</strong> <strong>au</strong> <strong>XVIIIe</strong> <strong>siècle</strong> 228<br />
von Haller n’était pas seulement médecin, anatomiste, botaniste, physiologue ;<br />
il cultivait <strong>au</strong>ssi la poésie ; et même il voulait montrer <strong>au</strong>x Anglais qu’ils<br />
n’étaient pas les seuls capables d’écrire <strong>des</strong> vers philosophiques. Sa pièce<br />
lyrique et didactique, Die Alpen, où il avait montré que la montagne n’était<br />
pas affreuse, comme on croyait, mais grandiose et belle, lui avait valu de la<br />
réputation : il continuait et par lui, la Suisse, après tant de pays déjà engagés,<br />
allait prendre part <strong>au</strong> grand débat : d’où son chant en trois parties, Ueber den<br />
Ursprung <strong>des</strong> Uebels.<br />
D’une h<strong>au</strong>teur où règne le silence, si vous contemplez le paysage qui<br />
s’étend à vos pieds, vous ne constatez que joie ; vous avez l’impression que le<br />
monde a été créé pour que ses habitants fussent heureux ; un bien universel<br />
anime la nature. Mais si vous écoutez le cri de votre âme, si vous réfléchissez,<br />
si vous considérez la vie telle qu’elle est, combien ce bonheur vous s emble<br />
illusoire et f<strong>au</strong>x ! Créatures de misère, nous sommes condamnés à la peine<br />
tandis que nous marchons vers la mort :<br />
Elende Sterbliche ! zur Pein erschaffen Wesen !<br />
Tout change à <strong>des</strong> yeux avertis ; ils ne voient plus que le mal, là même ou<br />
le bien paraissait avoir établi son domaine ; et l’hymne de joie se transforme<br />
bientôt en interrogation passionnée, où tout le <strong>des</strong>tin de l’homme se trouve en<br />
jeu : O Dieu de bonté, ô Dieu de justice, pourquoi as-tu choisi un monde<br />
éternellement tourmenté, éternellement coupable ?<br />
Parce qu’obéissant <strong>au</strong> conseil de sa propre sagesse, ce Dieu p.310 n’a pu<br />
choisir que le monde qui s’éloignait le moins de la perfection ; parce qu’il a<br />
pris le plus digne, pour le faire passer <strong>des</strong> virtualités à l’être<br />
Der Welten würdigste gewann die Würklichkeit.<br />
Le thème est repris, toujours le même : Dieu a créé, logiquement, une<br />
longue chaîne d’êtres, qui vont de lui -même <strong>au</strong> néant par une série de degrés ;<br />
nous faisons partie d’un ensem ble immense, que nous sommes incapables de<br />
saisir dans ses proportions et dans son harmonie. Il a mis, tout près de lui, les<br />
anges ; un peu plus bas, les hommes, anges et bêtes, appartenant à la fois à<br />
l’éternité et <strong>au</strong> néant. Aux hommes, il a donné une conscience corporelle et<br />
une conscience morale ; <strong>au</strong>x hommes, il a donné deux ressorts, l’amour<br />
d’eux -mêmes et l’amour du prochain, qui les poussent, tous les deux, à cher -<br />
cher leur bonheur. Tout étant organisé pour le bien, le mal est venu de ce que<br />
Dieu a laissé la liberté <strong>au</strong>x créatures : d’où la chute <strong>des</strong> an ges trop ambitieux<br />
de perfection ; d’où le péché d’Adam et sa chute ; d’où notre moindre<br />
résistance, et nos f<strong>au</strong>tes. Mais heureux ceux qui, par l’accomplissement du<br />
devoir, restent dans le plan divin !<br />
Nous sommes ici à un <strong>des</strong> rares moments de l’histoire de s idées où un<br />
accord semble se faire, avant que ses composantes ne se dénouent et ne<br />
reprennent leur liberté, en se combattant. <strong>La</strong> philosophie s’est ingéniée à<br />
trouver l’explication pl<strong>au</strong>sible d’une énigme douloureuse, et croit y avoir