27.10.2014 Views

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

La fraîcheur de la vision, tout comme la fraîcheur d'âme est hélas la plupart du temps<br />

incompatible avec la « phynance ». Et ce peintre glissant sur la pente fatale du succès ne<br />

différera plus en rien des milliers ou des dizaines de milliers d'autres peintres qui peignent<br />

comme les autres peignent devant leur établi.<br />

La réalité c'est la connaissance. C'est le savoir : long et séculaire apprentissage de<br />

l'espace, des êtres et des choses qui couronne les époques révolues. Le réalisme en art – c'est<br />

toujours de la beauté mûre. Or le trait essentiel qui caractérise les naïfs c'est précisément<br />

l'absence de ce savoir. Ils voient mais sont incapables de fixer leurs visions d'après les règles<br />

de l'art pictural en vigueur. C'est alors qu'ils enjolivent et idéalisent et que le public a beau jeu<br />

de s'esclaffer parce que la perspective est faussée, la couleur trop crûe et que l'ensemble<br />

apparaît par trop irréel, fantasque, insolite…<br />

Tout le monde connaît l'histoire du portrait de Guillaume Apollinaire exécuté par le<br />

Douanier Rousseau. Lorsqu'on reprochait à ce dernier l'absence totale de ressemblance, il<br />

répondait invariablement et le plus sérieusement du monde : « Pourtant j'avais pris mes<br />

mesures… » Oui, il les avait prises ses mesures, tout bonnement, tout honnêtement comme un<br />

tailleur prend celles d'un habit. Il les avait même notées sur un calepin. Le nez tant de<br />

centimètres, l'écartement de l'arcade sourcillière, la longueur du menton, etc. N'empêche que<br />

si Apollinaire est absent de la toile, le Poète y figure avec sa Muse, son bouquet d'œillets, son<br />

regard inspiré et sa solennité qui est déjà de l'autre monde. C'est ainsi que le Douanier fixa un<br />

état d'âme au détriment de la périssable réalité d'un instant.<br />

Ce manque de savoir, dis-je, est aussi la raison majeure de la floraison des naïfs tout le<br />

long du XIX e siècle et au début du XX e , et leur absence relative au cours des siècles<br />

précédents. En effet, si avant la Révolution et l'abolition des corporations quelqu'un montrait<br />

quelques aptitudes picturales, il entrait d'emblée en apprentissage et au bout d'un certain<br />

temps d'études et de travail acharné il était promu au rang de vrai peintre. Dès lors c'était sa<br />

profession, sa raison d'être, sa position sociale. Il cessait d'être un naïf en puissance, il naissait<br />

à une autre vie, à un autre destin, sans rêves cette fois, sans refoulements ni tourments.<br />

Il a donc fallu l'avènement de l'époque libérale et de l'anarchie ploutocratique pour que<br />

ce droit à la peinture fût refusé à une certaine catégorie de talents. Les forts pouvaient encore<br />

se frayer un chemin dans le jardin des Muses et des marchands, mais les humbles et les petits<br />

devaient trouver autre chose pour subsister. La lutte pour la vie devenait de plus en plus âpre.<br />

127

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!